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ANAXAGORAS.

λέγειν ἃ λέγουσι [1]. Atqui hi quidem... duas causas attigerunt,.... materiam, et undè motus : obscurè tamen, et non clarè : sed quemadmodùm inexercitati in prælio faciunt. Etenim illi circumeuntes, egregias plerumquè plagas infligunt. Sed nec illi ex scientiâ, nec isti videntur scire quid dicant. Vous verrez ailleurs [2], qu’il y a des choses qu’Anaxagoras n’a point expliquées, et qu’il eût admises infailliblement, si quelqu’un lui en avait fait l’ouverture ; et qu’enfin, en développant ses principes et ses pensées, on étalerait de fort beaux dogmes.

Je ne blâmerais point Socrate d’avoir souhaité une explication de l’univers toute telle qu’il l’indique : car qu’y aurait-il de plus beau, ou de plus curieux, que de savoir distinctement et dans le détail, pourquoi la perfection de la machine du monde a demandé que chaque planète eût la figure, la grandeur, la situation et la vitesse qu’elle a, et ainsi du reste ? Mais cette science n’est pas faite pour le genre humain, et l’on était fort injuste de l’attendre d’Anaxagoras. À moins que d’avoir toute l’idée que Dieu a suivie en faisant le monde, on ne pourrait point donner les explications que Socrate souhaitait. Tout ce que les plus grands philosophes peuvent dire là-dessus revient à ceci : que puisque la terre est ronde et située à une telle distance du soleil, cette figure et cette situation étaient requises pour la beauté et la symétrie de l’univers ; l’auteur de cette vaste machine ayant une intelligence et une sagesse qui n’a point de bornes. Nous savons par-là en général, que tout va bien dans cette machine et que rien n’y manque ; mais si nous entreprenions de faire voir pièce à pièce que tout est au meilleur état qui se puisse, nous en donnerions infailliblement de très-mauvaises raisons. Nous ferions comme un paysan, qui, sans avoir aucune idée d’une horloge, entreprendrait de prouver que la roue, qu’il en verrait par une fente, a dû être de telle épaisseur de telle grandeur, et posée précisément en ce lieu-là, vu que si elle eût été plus petite, moins épaisse et située en un autre lieu, il en serait arrivé de grands inconvéniens. Il jugerait de cette machine comme un aveugle des couleurs ; et sans doute, il raisonnerait pitoyablement. Les philosophes ne sont guère plus en état de juger de la machine du monde, que ce paysan de juger d’une grosse horloge. Ils n’en connaissent qu’une petite portion, ils ignorent le plan de l’ouvrier, ses vues, ses fins et la relation réciproque de toutes les pièces. Alléguez à quelqu’un, que la terre a dû être ronde, afin qu’elle tournât plus facilement sur son centre, il vous répondra qu’il vaudrait mieux qu’elle fût carrée, afin de tourner plus lentement et de nous donner de plus longs jours. Que pourriez-vous répondre de raisonnable, si vous étiez obligé d’articuler les embarras où l’univers tomberait, en cas que Mercure fût plus grand et plus proche de la terre ? M. Newton, qui a découvert tant de beautés mathématiques et mécaniques dans les cieux, voudrait-il bien être caution, que si les choses n’étaient point telles qu’il les suppose, ou quant aux grandeurs ou quant aux distances ou quant aux vitesses, le monde serait un ouvrage irrégulier, mal construit, mal entendu ? l’intelligence de Dieu n’est-elle pas infinie ? Il a donc les idées d’une infinité de mondes différens les uns des autres, tous beaux, réguliers, mathématiques, au dernier degré. Croyez-vous que d’une terre carrée et plus proche de Saturne, il ne pourrait pas tirer des usages équivalens à ceux qu’il tire de notre terre ? Concluons que Socrate n’a point dû s’imaginer qu’Anaxagoras lui prouverait par des raisons de détail, que l’état présent de chaque chose est le meilleur où elle pût être. Il n’y a que Dieu qui puisse prouver cela de cette façon.

Comment ferions-nous ce que Socrate voulait à l’égard de la machine du monde, nous qui ne le saurions faire à l’égard de la machine d’un animal, après tant de dissections et tant de leçons d’anatomie qui nous ont appris le nombre, la situation, l’usage, etc., de ses principaux organes ? Par quelles raisons particulières pourrait-on prouver que la perfection de l’homme et celle de l’univers demandent que nos veux, au nombre de

  1. Aristoteles, Metaphys., lib. I, cap. IV, pag. 646, G.
  2. Idem, ibid., cap. VII, pag. 651, C.