Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
ANCILLON.

grands hommes ont appellés l’âme des livres, luy estoient entièrement inutiles, parce qu’il les lisoit avec assez d’application et assez souvent pour posséder un ouvrage, et que d’ailleurs il avoit une mémoire fort fidèle, et en particulier une mémoire locale très-commode aux gens de lettres. Il les lisoit exactement ; et jusqu’au titre, au nom de l’imprimeur, au lieu et à l’année de l’impression, tout avoit à son avis son usage. Il barroit les livres en les lisant, et mettoit à la marge des renvoys à d’autres autheurs, qui avoient traité les mêmes matières, ou qui avoient dit des choses qui se rapportoient à celles qu’il lisoit…. [1]. Il changeoit quelquefois de lecture, et ce changement luy tenoit lieu de repos [* 1]. Il ne s’occupoit pas toujours à lire des livres d’un bout à l’autre ; il étudioit quelquefois des matières à fond ; et alors, il consultoit les autheurs qui les avoient traitées. Il voyoit souvent la même chose dans différens ouvrages ; mais cela ne le dégoûtoit pas : au contraire, il disoit que c’estoit comme autant de nouvelles couches de couleurs qui formoient l’idée qu’il avoit conçue, qui la mettoient dans une entière perfection. La multitude d’autheurs qu’il consultoit estoit cause qu’on voyoit ordinairement une grande table, qui estoit au milieu de sa chambre, et sur laquelle il travailloit, toute chargée de livres la pluspart ouverts [2]. Le célèbre Fra-Paolo, dont je viens de parler, estudioit aussi de cette manière : il ne discontinuoit pas, comme nous l’apprend l’exact et fidèle autheur de sa Vie, jusques à ce qu’il eût tout vu ; c’est-à dire, jusques à ce qu’il eût fait la confrontation des autheurs, des lieux, des temps, et des opinions : à quoy il s’opiniâtroit, pour n’avoir plus d’occasion de douter, et de repenser à une même chose ; et pour pouvoir prendre parti, et s’assurer à cette seule fois, autant qu’on le pouvoit naturellement. C’estoit ainsi que M. Ancillon étudioit quelquefois, et on luy a entendu souvent rendre les mêmes raisons de cette manière d’étudier qu’il pratiquoit. Comme il lisoit beaucoup, il trouvoit beaucoup de choses dignes de remarque ; et quoy qu’il eut une mémoire admirable, il avoit des livres dans lesquels il recueilloit ce qu’il trouvoit de plus considérable. Il sçavoit bien qu’un Govean, par exemple, qui ne vouloit pas même qu’il y eût d’écritoire dans la chambre où il étudioit ; qu’un Saumaise, qu’un Ménage, et que plusieurs autres grands hommes, ont condamné les collections ; que bien loin qu’ils ayent considéré ces recueils comme des aydes qui soulagent les gens, et qui facilitent l’acquisition des sciences, ils les ont au contraire regardés comme des obstacles qui interrompent le cours de la lecture et de la méditation, et qui en font perdre infailliblement le fruict : mais il estimoit que, comme, par un malheur attaché au siècle dans lequel nous vivons, il ne suffit pas de sçavoir à plein fond les choses, leurs résolutions, et les fondemens de toutes leurs raisons, si on n’allégue des authoritez, et si on ne cite des textes exprès, il estoit nécessaire d’avoir un livre qui fit comme une veine, ou un filet d’eau, qui conduisît sûrement à la source, d’autant plus qu’ayant à parler en public devant certaines gens, qui estoient plutôt ses espions que ses auditeurs, et qui luy demandoient souvent des authoritez et des preuves de ce qu’il avoit avancé : il estoit en quelque sorte nécessaire qu’il eût un répertoire qui soulageât sa mémoire, et qui le dispensât de chercher longtemps ce dont il pouvoit avoir besoin, selon les différentes conjonctures où il se trouvoit. Voilà des choses, ce me semble, dont plusieurs lecteurs pourront tirer du profit. Nous parlerons ci-dessus [3] de son assiduité à l’étude.

(E) Les livres qu’il a donnés au public. ] Il fit imprimer à Sedan un volume in-4o., en l’année 1657, dans lequel toute la matière des traditions est amplement et solidement examinée [4]. C’est la Relation fidèle de tout ce qui s’était passé dans la conférence qu’il avait eue avec M. de Beda-

  1. (*) Πόνου μεταϐολὴ εἶδος ἐςὶν ἀναπαύσεως.
  1. Là même, pag. 109.
  2. Discours sur la Vie de M. Ancillon, pag. 111.
  3. Dans la remarque (F).
  4. Discours sur la Vie de M. Ancillon, pag. 218.