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DANTE.

sée en deux factions, l’une nommée les Blancs, l’autre nommée les Noirs, se trouva réduite à un état si tumultueux, que le pape Boniface VIII y envoya Charles de Valois[a] l’an 1301, pour y remettre la tranquillité. On ne trouva pas de meilleur moyen de pacifier la ville, que d’en chasser la faction des Blancs. Voilà pourquoi notre Dante, qui l’avait favorisée, fut envoyé en exil (C). J’ai dit ailleurs[b] que cela fut cause qu’il débita un mensonge ridicule sur l’extraction de Hugues-Capet[* 1]. Il ne supporta point constamment cette disgrâce : son ressentiment fut extrême ; il tâcha de se venger aux dépens de sa patrie, et il ne tint pas à lui qu’elle ne fût exposée à une guerre sanglante (D). Tous les efforts qu’il fit pour y être rétabli furent inutiles : il ne put jamais y rentrer ; il mourut dans son exil, au mois de juillet 1321. Il eut la force de composer son épitaphe en vers latins un peu avant que d’expirer (E). Souvenons-nous qu’il s’appliqua diligemment à l’étude pendant son bannissement, et qu’il composa des livres où il fit entrer plus de feu et plus de force qu’il n’y en eût mis s’il avait joui d’une condition plus tranquille (F). On croit que l’indignation contre sa patrie donna une nouvelle vigueur à sa plume et à son esprit. Quelques-uns doutent un peu de ce qu’on assure qu’il fut étudier à Paris quand il se vit exilé[c]. Le plus considérable de ses ouvrages est le poëme que l’on nomme Comédie de l’enfer, du purgatoire et du paradis[* 2]. Il a servi de texte à quelques commentateurs (G), et il a fourni une matière de guerre à plusieurs critiques (H). Il contient certaines choses qui ne plaisent point aux amis des papes, et qui semblent signifier que Rome est le siége de l’antechrist [d]. Un autre livre de Dante a fort déplu à la cour de Rome, et l’a fait passer pour hérétique (I). N’oublions pas que ce grand poëte trouva des patrons illustres dans sa disgrâce, mais qu’il ne sut pas toujours se conserver leur affection (K), car, quoiqu’il fût assez taciturne, il donnait à sa langue en quelques rencontres un peu trop de liberté[e]. Il laissa des enfans [f]. On conte une chose singulière de son attention à la lecture (L).

(A) Il était de bonne maison. ] On prétend que Cacciaguida son trisaïeul [1] était fils ou petit-fils[2] d’Élisée

  1. * V. la remarque (A) de l’article Capet, tom. IV, pag. 398.
  2. * Leclerc note que le père Hardouin, dans les Mémoires de Trévoux, août 1727, a tâché de prouver que ce poëme n’était point du Dante, mais d’un poëte postérieur d’un siècle. Joly, à l’article Capet, analyse la dissertation d’Hardouin qu’il réduit à huit objections, lesquelles il réfute successivement d’après l’abbé Goujet, Bibl. franc., VII. 292.
  1. Frère de Philippe-le-Bel, roi de France,
  2. Dans l’article Capet, tome IV.
  3. Voyez la remarque (K).
  4. Voyez la remarque (I).
  5. Erat morosissimus et philosophorum instar, ut qui tristitiam præ se ferre videretur, nec facilè loqui et brevissimè conceptiones animi exprimere solebat. Papyr. Masso, Elogiorum tom. II, pag. 28.
  6. Voyez la remarque (B).
  1. Il se dit le père du bisaïeul de Dante, dans le chant XV du Paradis de ce poëte, pag. m. 331.
  2. Vel nepos vel filius. Papyr. Masso, in Elog. tom. II, pag. 16. Bullart. Académie