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DAVID.

sent que lorsque David fut conçu, Isaï son père ne croyait point jouir de sa femme, mais de sa servante, et c’est par-là qu’ils expliquent le verset 7 du psaume LI, où David assure qu’il a été formé en iniquité, et que sa mère l’a conçu en péché. Cela, disent-ils, signifie qu’Isaï son père commit un adultère en l’engendrant, parce qu’encore qu’il l’engendrait de sa femme, il croyait ne l’engendrer que d’une servante à la pudicité de laquelle il avait tendu des piéges [1]. Cette explication est peu conforme à la doctrine du péché originel ; et c’est pour cela que le père Bartolocci [2], ayant rapporté ce sentiment des nouveaux rabbins, s’est cru obligé d’examiner par occasion, si les anciens Juifs ont reconnu la vérité de cette doctrine. Si la supposition de ces rabbins était véritable, ils auraient raison de dire qu’Isaï aurait commis un adultère ; mais, d’autre côté, il faudrait dire qu’il ne l’aurait point commis, si croyant de bonne foi qu’il jouissait de sa femme, il eût engrossé sa servante. Cette supposition rabbinique est bien éloignée de la tradition que saint Jérôme rapporte. Il dit qu’on a cru qu’Isaï, père de David, ne commit jamais aucun péché actuel, et qu’il n’y eut en lui aucune souillure que celle qu’il apporta du sein de sa mère. Mirum est quod de Isaï patre Davidis refert Hieronymus, illum nunquàm aliud peccatum commisisse quàm quod ex origine contraxit. Quo enim loco legimus : Amasa [* 1] ingressus est ad Abigail filiam Naas sororem Sarviæ ; sic Hieronymus [* 2]. Naas interpretatur coluber, quia eum nullum admisisse mortiferum perhibent peccatum, nisi quod originaliter de serpente antiquo contraxit. Est autem Naas qui et Isaï pater David. Eamdem traditionem refert Abulensis [* 3], et monet Naas eundem esse qui et Jesse sive Isaï patrem Davidis, quod quidem et antea Liranus [* 4] docuerat [3]. Au reste, ceux qui voudraient adopter l’impertinence des rabbins sur la conception de David passeraient aisément dans une autre impertinence, qui serait de mettre David au nombre des bâtards illustres. La raison physique que l’on allègue pourquoi les bâtards viennent si souvent au monde avec tant de talens naturels aurait lieu ici de la part du père.

[* 5] Je viens de lire un livre italien [4], où ce conte des rabbins est rapporté en cette manière : le père de David aimait sa servante, et après l’avoir cajolée plusieurs fois, il lui dit enfin qu’elle eût à se tenir prête à coucher cette nuit-là avec lui. Elle, n’ayant pas moins de vertu que de beauté, se plaignit à sa maîtresse qu’Isaï ne lui donnait nul repos par ses sollicitations. Che non poteva haver riposo, rispetto che il patrone continuamente la tentava per farla giacere una notte con lui [5]. Promets-lui de le contenter cette nuit-ci, lui répondit sa maîtresse, et j’irai me mettre à ta place. La chose s’exécuta deux ou trois nuits consécutives. Quand Isaï se fut aperçu que sa femme avec laquelle il ne couchait plus depuis long-temps était néanmoins enceinte, il l’accusa d’adultère, et ne voulut point ajouter foi au récit qu’elle lui fit de l’accord passé avec la servante. Ni lui ni ses fils ne voulurent voir l’enfant qu’elle mit au monde, ils le tinrent pour bâtard : il la traita avec le dernier mépris, et fit élever l’enfant à la campagne parmi les pâtres. Il ne parla point de ce mystère à ses voisins ; il cacha cette honte domestique pour l’amour de ses enfans. Les choses demeurèrent en cet état jusques à ce que le prophète Samuel fut chercher un roi dans la famille d’Isaï. Son choix ne s’étant pas arrêté sur aucun des fils qu’on lui montra, il fallut faire venir David : on le fit avec répugnance, parce qu’on craignit de

  1. (*) Lib. 2 Reg., 17, 25.
  2. (*) Hieron., Trad. Heb. in lib. 2 Reg., cap. 17.
  3. (*) Tostat., 2 Reg., 17, quæst 27.
  4. (*) Liran. ibid.
  5. * Tout cet alinéa n’existait pas dans l’édition de 1697.
  1. Voyez le Journal des Savans, du 14 juillet 1602, pag. 465, édit. de Hollande.
  2. In Bibliothecâ magnâ Rabbinicâ, part. II, pag. 4, cité dans le Journal des Savans, là même.
  3. Ces paroles [avec les additions qui les accompagnent, dit l’édition de 1697, ] sont du père Camart, pag. 126, 127, de Rebus gestis Eliæ.
  4. Ce livre a pour titre : Precetti da esser imparati dalle donne Ebree. Voyez tome II, pag. 435, la remarque (A) de l’article Arodon.
  5. Precetti da esser imparati, etc., cap. C, pag. 67.