dépensa à cela tout son patrimoine, qui valait plus de cent talens [a] ; après quoi il eut besoin d’être entretenu par son frère : et s’il n’eût pas donné des preuves sensibles de son grand esprit, il eût encouru une note d’infamie, pour n’avoir pas conservé son bien (B). L’esprit des grands voyageurs régna en lui : il alla chercher jusqu’au fond des Indes les richesses de l’érudition, et ne se soucia guère des trésors qu’il avait presque à sa porte. Il ne fut jamais à Athènes [b], si nous en croyons quelques auteurs ; ou s’il y fut, comme l’assurent quelques autres, il ne s’y fit connaître à personne. Il donna deux preuves d’une sagacité extraordinaire (C), qui le firent admirer du grand Hippocrate. Mais il ne faut point croire ce qu’on a dit là-dessus ; il faut plutôt s’imaginer que l’on s’est plu à répandre sur l’histoire des philosophes autant d’aventures prodigieuses que sur celle des paladins ; et il est sûr qu’en matière de bravoure les exploits du fameux Roland ne seraient point plus admirables, qu’en matière de secrets de la nature ces deux découvertes de Démocrite. Quelques-uns ont dit qu’il vécut cent-neuf ans (D) ; et qu’en faveur de sa sœur il recula de quelques jours l’heure de sa mort (E). Il composa un très-grand nombre de livres [c] : il ne s’en faudrait pas étonner quand même il n’aurait pas vécu si longtemps ; car il aimait la retraite, et il s’appliquait à l’étude d’une façon toute singulière (F). C’était d’ailleurs un beau génie, un esprit vaste, pénétrant, qui donnait dans tout. La physique, la morale, les mathématiques, les belles-lettres, les beaux-arts se trouvèrent dans la sphère de son activité. Il devint très-habile dans toutes ces choses, et jusqu’à se pouvoir élever à la gloire de l’invention, comme nous l’apprend Sénèque (G). J’ai lu dans quelques modernes que sa longue vie fut une suite de sa chasteté (H) ; mais je ne trouve point cela dans les anciens. Si tout ce qu’on cite de lui a été tiré de ses véritables écrits, on ne peut nier qu’il ne se repût de chimères à certains égards (I) ; car il faudrait croire qu’il avait une recette qui pouvait procurer l’intelligence du chant des oiseaux. Il faudrait aussi croire qu’il était fort adonné à la magie (K) ; je veux dire à la magie qui est fondée sur un pacte avec le démon. Je ne pense pas qu’il ait été assez visionnaire pour s’être crevé les yeux (L), comme quelques-uns l’ont dit. La manière dont il consola Darius est assez ingénieuse (M). Il est excusable de s’être moqué de toute la vie humaine (N) : il valait mieux faire cela que d’imiter Héraclite, qui pleurait éternellement. Il a été le précurseur d’Épicure (O) ; car le système de ce dernier ne diffère de celui de Démocrite qu’en vertu de quelques réparations. C’est encore Démocrite qui a fourni aux pyrrhoniens tout ce qu’ils ont dit contre le témoignage des sens ; car outre qu’il avait accoutumé de dire