Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/469

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
459
DÉMOCRITE.

que la vérité était cachée au fond d’un puits, il soutenait qu’il n’y avait rien de réel que les atomes et le vide, et que tout le reste ne consistait qu’en opinion [a]. C’est ce que les Cartésiens disent aujourd’hui touchant les qualités corporelles, la couleur, l’odeur, le son, la saveur, le chaud, le froid : ce ne sont, disent-ils, que des modifications de l’âme. Démocrite n’était rien moins qu’orthodoxe touchant la nature divine (P) ; et il croyait que notre dernière fin est la tranquillité de l’esprit [b]. Platon le haïssait, et peu s’en fallut qu’il ne brûlât tous les livres de Démocrite (Q). Cela, ce me semble, faisait moins de tort que d’honneur à ce dernier. Le systême des atomes n’est pas à beaucoup près aussi absurde que le spinozisme (R) : mais c’est une chose assez plaisante que de dire avec M. Moréri, que, selon Démocrite, les atomes étaient infinis en grandeur ; car au contraire ils étaient d’une petitesse inimaginable. Nous dirons dans la remarque (K) qu’il a couru sous son nom plusieurs livres qui n’étaient pas de lui. Nous verrions sans doute plus clair sur cette matière, si nous avions le traité de Callimachus [c], ou le traité de Thrasyllus touchant ses ouvrages [d]. Je ne sais si le sieur Pierre Borel [e], qui avait promis trois volumes in-folio, de Vitâ et philosophiâ Democriti, aurait pu nous donner quelques éclaircissemens. Si Élien [f] a dit que Protagoras était fils de Démocrite, il s’est trompé. Démocrite n’approuvait point qu’on se mariât, ou qu’on s’amusât à procréer des enfans. C’est engager, disait-il, à des soins trop importuns, et qui détournent d’une occupation plus nécessaire. Voyez la remarque (L) vers la fin. Il disait aussi que le plaisir de l’amour était une petite épilepsie (S).

Ce qu’on raconte du déplaisir que lui causa sa servante en lui apprenant une chose dont il voulait trouver une raison naturelle est assez curieux (T).

(A) Il fut élevé par des mages. ] Xerxès, roi de Perse, ayant logé chez le père de Démocrite, lui fit présent de quelques mages, qui furent les précepteurs de Démocrite [1]. Or, comme il y a une différence infinie entre loger le roi Xerxès, et régaler son armée, on ne peut disculper l’auteur qui a dit que le père de Démocrite avait pu fournir un repas à l’armée de ce monarque sans s’incommoder [2]. M. Moréri donne dans ce panneau ; il l’eût évité, s’il avait pris garde aux paroles de Diogène Laërce ; mais il ne paraît pas l’avoir consulté. Aurait-il dit, après une telle consultation, que Diogène Laërce veut que Démocrite soit de Milet ? Laërce ne veut point cela ; il dit seulement que c’est l’opinion de quelques-uns. Je dirai en passant que M. Moréri ne devait point citer Hérodote tout court. C’était le moyen de persuader à ses lecteurs que l’on trouve dans les Muses d’Hérodote le fait dont il parle. Or, cela est faux, et il n’y a nulle

  1. Laërt., lib. IX, num. 44 ; Sext., Empiricus adv. Mathemat., pag. 163. Voyez tome II, la citation (62) de l’article Arcésilas.
  2. Cicero, de Finibus l. 5.
  3. Suidas en fait mention.
  4. Voyez Laërce, num. 41.
  5. C’était un médecin de Castres dans le Languedoc. Le catalogue des livres qu’il promettait au public se voit à la tête de ses Antiquités gauloises, imprimées à Paris en 1655. Voyez aussi la préface de la IIe. centurie de ses Observat. de médecine.
  6. Ælian., Var. Hist., lib. I, cap. XXIII.
  1. Diog. Laërt., in Vitâ Democriti, lib. IX, num. 34.
  2. Valer. Maximus, 45. lib VIII, cap. VII, num. 4, exter.