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CHARLES-QUINT.

fois arrêté à l’inquisition d’Espagne, le roi son fils présent et consentant, de désenterrer son corps, et le faire brûler comme hérétique (quelle cruauté !) pour avoir tenu en son vivant quelques propos légers de foi, et pour ce étoit indigne de sépulture en terre sainte, et très-brûlable comme un fagot ; et même qu’il avoit trop adhéré aux opinions et persuasions de l’archevêque de Tolède, qu’on tenoit pour hérétique, et pour ce demeura long-temps prisonnier à l’inquisition, et rendu incapable et frustré de son évêché, qui vaut cent à six-vingts mille ducats d’intrade : c’étoit bien le vrai moyen pour faire à croire qu’il étoit hérétique, et pour avoir son bien et sa dépouille [1]. » L’auteur que j’ai à citer donne un détail plus curieux de tout ceci. Entre les bruits qui avaient couru, dit-il [2], dans le monde sur la retraite de l’empereur, le plus étrange fut que le commerce continuel, qu’il avait eu avec les protestans d’Allemagne, lui avait donné quelque inclination pour leurs sentimens, et qu’il s’était caché dans une solitude, pour avoir la liberté de finir ses jours dans des exercices de piété, conformes à ses dispositions secrètes. Il fit choix de personnes toutes suspectes d’hérésie pour sa conduite spirituelle, comme du docteur Caçalla son prédicateur, de l’archevêque de Tolède, et surtout de Constantin Ponce évêque de Drosse, et son directeur. On a su depuis, que la cellule où il mourut à Saint-Just, était remplie de tous côtés d’écriteaux faits de sa main, sur la justification et la grâce, qui n’étaient pas fort éloignés de la doctrine des novateurs [3]. Mais rien ne confirma tant cette opinion que son testament. Il n’y avait presque point de legs pieux, ni de fondation pour des prières ; et il était fait d’une manière si différente de ceux des catholiques zélés, que l’inquisition d’Espagne crut avoir droit de s’en formaliser. Elle n’osa pourtant éclater avant l’arrivée du roi ; mais ce prince ayant signalé son abord en ce pays par le supplice de tous les partisans de la nouvelle opinion, l’inquisition, devenue plus hardie par son exemple, attaqua premièrement l’archevêque de Tolède, puis le prédicateur de l’empereur, et enfin Constantin Ponce. Le roi les ayant laissé emprisonner tous trois le peuple regarda sa patience, comme le chef-d’œuvre de son zèle pour la véritable religion ; mais tout le reste de l’Europe vit avec horreur le confesseur de l’empereur Charles, entre les bras duquel ce prince était mort, et qui avait comme reçu dans son sein cette grande âme, livré au plus cruel et au plus honteux des supplices, par les mains mêmes du roi son fils. En effet, dans la suite de l’instruction du procès, l’inquisition s’étant avisée d’accuser ces trois personnages d’avoir eu part au testament de l’empereur, elle eut l’audace de les condamner au feu avec ce testament. Le roi se réveilla à cette sentence, comme à un coup de tonnerre. D’abord, la jalousie qu’il avait pour la gloire de son père lui fit trouver quelque plaisir à voir sa mémoire exposée à cet affront ; mais depuis, ayant considéré les conséquences de cet attentat, il en empêcha l’effet, par les voies les plus douces et les plus secrètes qu’il put choisir, afin de sauver l’honneur du saint office, et de ne faire aucune brèche à l’autorité de ce tribunal... Cependant le docteur Caçalla fut brûlé vif, avec un fantôme qui représentait Constantin Ponce, mort quelques jours auparavant dans la prison. Le roi fut contraint de souffrir cette exécution, pour obliger le saint office de consentir que l’archevêque de Tolède appelât à Rome, et de ne parler plus du testament de l’empereur. Si ces choses étaient véritables, il faudrait ou que l’empereur eût poussé la comédie aussi loin qu’elle peut aller, ou que les historiens qui parlent de ses dévotions [4], et de sa haine pour les

  1. Brantôme, Capitaines étrangers, tom. I, pag. 30.
  2. L’abbé de Saint-Réal dans son Histoire de don Carlos. Il cite MM. de Thou, Aubigné, etc.
  3. Appliquez ici une chose vraie ou fausse, qui se lit dans Mélanchthon, in cap. XXV Matthæi, pag. m. 558. Carolus V jussit amoveri monachos à conjuge moriturâ, et jussit præceptorem filii su proponere consolationes de Cristo.
  4. Voyez Strada, decad. I, lib. I, pag. 14, 15.