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CHARLES-QUINT.

hérétiques [1], fussent de grands fourbes. On prétend qu’il comptait parmi ses crimes de n’avoir point fait brûler Luther, nonobstant le sauf-conduit qu’il lui avait accordé [2].

Ayez recours aux remarques de l’article de Carranza, où vous trouverez diverses choses concernant cette matière. Ce qui suit pourra passer pour un supplément, et indiquera quelques fautes de Don Carlos. 1°. Les historiens espagnols ne conviennent pas que Constantin Ponce [3] ait été le directeur ou le confesseur de Charles-Quint : ils avouent seulement qu’il avait été son prédicateur. 2°. Il n’était point évêque de Drosse. Je ne trouve aucun évêque dans l’Espagne, ni ailleurs, qui ait ce nom-là. Il est vrai que M. de Thou parle d’un episcopus Drossensis [4] (c’est sans doute ce qui a trompé l’auteur du Don Carlos) ; mais il ne dit pas que ce fut Constantin Ponce : c’était un prédicateur de Séville nommé Giles, compagnon d’opinion et de fortune de Constantin Ponce ; car ils moururent tous deux avant que l’Auto de fé se fît, et ils furent brûlés en effigie tous deux [5]. Ce Giles fut nommé par l’empereur à l’évêché de Tortose [6]. 3°. Il n’est point vrai que l’inquisition attendit à attaquer le docteur Caçalla et Constantin Ponce, que Philippe fût arrivé en Espagne : il n’y arriva qu’au commencement de septembre 1559, et ces deux hommes étaient aux prisons de l’inquisition avant la mort de Charles-Quint, arrivée, comme chacun sait, le 21 septembre 1558. Le comte de la Roca rapporte ce qui fut dit par cet empereur au sujet de la sentence de Caçalla [7], et de l’emprisonnement de Constantin [8]. Un autre historien [9] rapporte que Caçalla, dans la maison duquel se tenaient les assemblées de ceux de la religion à Valladolid, fut exécuté le 21 mars 1559, pendant que Philippe était encore dans le Pays-Bas. 4°. Puisque Constantin Ponce fut emprisonné par l’inquisition pendant la vie de Charles-Quint, il ne rendit aucun service à ce monarque au lit de la mort, tant s’en faut qu’il ait reçu dans son sein cette grande âme. M. de Thou a trompé l’auteur du Don Carlos [10] ; ce qui doit servir d’avis à tous les auteurs, qu’il ne faut se fier aveuglément à personne. Si l’on s’égare à la suite de M. de Thou, que ne doit-on pas craindre à la suite des historiens à la douzaine ? 5°. Toute réflexion décochée contre Philippe, en vertu d’une prétendue permission par lui accordée d’emprisonner Caçalla et Constantin depuis son retour en Espagne, est chimérique ; car ces deux hommes étaient en prison avant que l’empereur fût mort. 6°. Il y a des historiens qui disent [11] que Caçalla se repentit, et qu’il tâcha vainement de convertir un de ses complices, dont l’opiniâtreté fut si grande qu’elle le porta à se laisser brûler vif. C’est dire assez clairement que Caçalla ne fut brûlé qu’après sa mort. 7°. En tout cas, il ne fut point brûlé vif avec un fantôme qui représentait Constantin Ponce ; car l’exécution de Caçalla se fit dans l’Auto de fé du 21 de mars 1559 à Valladolid, et celle de Constantin Ponce dans un autre Auto de fé à Séville [12]. 8°. Le roi n’obligea point le saint office de consentir que l’archevêque de Tolède appelât à Rome ; car, en premier lieu, la cause de cet archevêque ne fut point portée par appel à la cour de Rome ; elle y fut évoquée, et le pape qui aurait voulu que l’inquisition d’Espagne lui eût d’abord envoyé ce prisonnier, et qui se vit obligé à consentir que ce tribunal fît des procédures, se réserva toujours la

  1. Voyez le comte de la Roca, pag. 334.
  2. Voyez La Mothe-le-Vayer, tom. II, pag. 199, édit. in-12.
  3. Ponce n’était point son nom : j’en ai averti, citation (20) de l’art. Carranza, tome IV, pag. 479. Voyez aussi le commencement de l’article Ponce, tome XII.
  4. Thuan., lib. XXIII, pag. 470, ad ann. 1559.
  5. Idem, ibidem.
  6. Il eût fallu donc le nommer Episcopus Torrosensis, ou Dertossensis, ou plutôt Dertusensis.
  7. Histoire de Charles-Quint, pag. 334.
  8. Là même, pag. 335.
  9. Herrera, Historia general., lib. VI, cap. XVI, pag. m. 400.
  10. Contantinus qui à sacris confessionibus diù Cæsari eique in solitudine suâ post imperii ac regnorum abdicationem, ac postremò animam agenti semper præsto fuerat, ad idem mox tribunal raptus, etc. Thuan., lib. XXIII, pag. 470, ad ann. 1559.
  11. Herrera, Historia general., ubi suprà.
  12. Herrera, ibidem.