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EUGÈNE IV.

régnèrent entre ce pape et le concile de Bâle, il fut mêlé dans toutes les guerres d’Italie ; il excita le roi de Hongrie à prendre les armes contre les Turcs, et le dauphin à les prendre contre les Suisses [a]. Il fut d’autant plus responsable des effets funestes de la première de ces deux guerres, qu’il avait envoyé en Hongrie un cardinal légat qui poussa le roi à violer un traité de paix solennellement conclu avec la Porte [b]. La réflexion qu’il fit sur sa destinée est considérable (C), et une preuve de la vanité que trouvent dans les plus hautes élévations ceux qui les possèdent. N’oublions pas que pour faire voir qu’il n’était pas uniquement attaché aux occupations belliqueuses, il affecta de faire en personne, et avec beaucoup d’éclat, quelques cérémonies de religion, et de travailler à l’embellissement et à la réforme de quelques églises de Rome (D). Il était bel homme, et d’une mine vénérable, et tenait toujours les yeux baissés quand il se montrait en public [c]. Il ne buvait point de vin, et observait quant à sa personne, les règles de la frugalité, quoiqu’il y eût dans son domestique beaucoup de magnificence [d]. Il n’était point savant, mais il aimait les personnes doctes (E), et leur fit du bien. Ce fut sous son règne qu’il y eut des cardinaux qui commencèrent à entretenir des meutes et de belles écuries, et à donner dans le luxe des ameublemens et des festins (F).

  1. Platina, ibid.
  2. Voyez la lettre LXXXI d’Énée Silvius.
  3. Vir aspectu insignis et veneratione dignus. Platina, in Vitâ Eugenii IV. Vultu alioqui decoro, ac venerabili, oculos in publico nunquàm attollebat, ut à parente meo qui eum sequebatur accepi. Volaterr., lib. XXII, pag. 815.
  4. Splendidus in victu familiæ, parcus in suo, et à vino ita alienus ut abstemius meritò vocaretur. Platina, in Vitâ Eugenii IV.

(A) Il n’était point neveu du pape Grégoire XII [* 1].] M. de la Rochepozai, dans son Nomenclator Cardinalium [1], M. de Sponde, dans ses Annales de l’Église [2], et une infinité d’autres écrivains assurent qu’Eugène IV était fils de la sœur de Grégoire XII. Je crois qu’ils se trompent : ma raison est que Platine, ni Volaterran ne lui donnent point cette qualité, et qu’ils ne l’auraient point ignorée si elle eût été véritable, et que le silence de Platine est tellement conditionné, qu’il vaut une preuve positive. Cet auteur raconte qu’Antoine Corario, neveu de Grégoire XII, amena à Rome Gabriel Condelmério, de la même religion que lui [3], et avec lequel il avait vécu familièrement depuis sa jeunesse : Romam iturus Gabrielem Condelmerium, c’est le même qu’Eugène IV, qui ejusmodi professionis erat, quicum ab ineunte ætate familiariter vixerat, secum aliquandiù recusantem duxit [4]. Sont-ce des circonstances où il soit possible à un auteur de ne dire pas qu’un tel est neveu d’un tel ? Et notez que Platine, mêlant ensemble les avancemens de la fortune de ces deux hommes, donne toujours à Antoine Corario la qualité de neveu du pape, sans la donner jamais à l’autre. Quelque lecteur peu attentif et bien distrait aura trouvé là un piége, et n’aura point démêlé ce qui concerne Corario d’avec ce qui appartient à Condelmério ; il aura donc pris celui-ci pour le neveu de Grégoire XII, après quoi les historiens se seront suivis les uns les autres, sans s’informer plus amplement de la chose.

  1. * Leclerc pense comme Bayle ; mais il ajoute que Philippe de Bergame est, à sa connaissance, l’auteur le plus ancien qui ait dit qu’Eugène IV était neveu de Grégoire XII.
  1. À la page 73.
  2. Ad ann. 1408, num. 6 ; et ad annum 1431, num. 4.
  3. C’est-à-dire, célestin.
  4. Platina, in Eugenio IV, folio m. 307.