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EUGÈNE IV.

(B) Il fut exposé a une terrible infortune : ce fut une révolution dans toutes les formes. ] Philippe, duc de Milan, animé contre le pape, fit une irruption sur le territoire de Rome. La cavalerie qu’il y envoya était commandée par Nicolas Fortébrachio, guerrier fameux, et qui s’était retiré fort mécontent du service de ce pape ; car ayant demandé qu’on lui payât ses appointemens, Eugène lui fit réponse qu’il se devait tenir pour suffisamment payé par le gain qu’il avait fait au pillage de quelques places. Indigné de cette réponse, il chercha un autre maître, et se voyant employé par le duc Philippe contre ce pape, il fit des ravages extraordinaires proche de Rome. La consternation fut grande dans la ville ; le pape même fut quelque temps incertain où il irait. On allait en foule se plaindre à lui des pertes qu’on avait souffertes ; et comme il n’avait alors que peu de santé, et qu’il ne savait de quel côté se tourner, il renvoyait les gens au cardinal son neveu et son camérier, homme fainéant et voluptueux, qui ne répondait autre chose à ceux qui lui allaient dire qu’ils avaient perdu leurs bestiaux, que ceci : Vous aviez trop de confiance en vos bestiaux, les Vénitiens mènent une vie beaucoup plus honnête sans tout cela [1]. On fut si indigné de cette réponse, que l’on se mit à crier aux armes et à la liberté. On destitua tous les magistrats d’Eugène ; on en mit d’autres à leur place, et l’on se saisit de la personne du cardinal son neveu. Le pape se voyant réduit à de si grandes extrémités, se déguisa en moine, et se mit sur une barque pour se sauver à Ostie. Il y arriva heureusement, malgré les pierres et les flèches qu’on tira sur lui, et puis il se fit conduire à Florence [2]. Quelques écrivains disent [3] qu’on l’avait mis en prison dans l’église de Sainte-Marie, au delà du Tibre ; mais qu’ayant trompé les gardes, il se mit sur un bateau de pêcheur, et descendit la rivière jusqu’à Ostie, poursuivi à coups de flèches par les Romains. Volaterran [4] ajoute que ceux-ci se rendirent maîtres du Capitole et du château Saint-Ange : je crois qu’il en dit trop ; car Platine, suivi en cela par un grand nombre d’écrivains, assure que le château Saint-Ange ne fut point pris. Quoi qu’il en soit, cette liberté de Rome ne dura guère : l’autorité du pape y fut rétablie en son absence, par Jean Vitelleschi, patriarche d’Alexandrie, qui usa d’une extrême sévérité envers les mutins. La révolution dont je parle arriva au mois de juin 1434 Elle est si remarquable, et tant d’auteurs [5] en ont parlé, que je m’étonne que M. Moréri l’ait omise. Il l’aurait pu prendre dans les Annales de M. Sponde [6]. Ambroise de Camaldoli en fit mention dans son Hodœpericon ; et lorsque M. l’abbé de la Roque donna l’extrait de cet ouvrage, il n’oublia pas cet endroit-là [7].

(C) La réflexion qu’il fit sur sa destinée est considérable. ] Étant sur le point de mourir, il se tourna vers les religieux qui l’environnaient, et, d’une voix entrecoupée de soupirs, il déclara qu’il eût beaucoup mieux valu, pour le salut de son âme, qu’il n’eût jamais été élevé au cardinalat et au papat. Hic (Eugenius) cùm esset morti proximus, apud Reynaldum anno m.ccccxlvii aliquid dixisse memoriæ proditur, quod nisi pœnitentiam ostendat, certè mihi terrorem injicit : Verba sunt : Cùmque à religiosis viris cinctus esset, interpunctâ suspiriis voce, versoque ad eos vultu dixisse fertur : O Gabriel, quantò magis conduxisset animæ tuæ saluti, ut nunquàm cardinalatum, nec pontificatum obtinuisses, sed in tuo monasterio religiosam disciplinam coluisses ! Hæc ex Vitæ Eugenii auctore, qui tunc claruit, et à Raynaldo laudatur [8].

(D) Il affecta de faire en personne, et avec beaucoup d’éclat, quelques cérémonies de religion, et de travailler à l’embellissement.... de quelques

  1. Eos nimiam spem in pecoribus collocâsse : Venetos quidem sine gregibus et jumentis longè urbaniorem vitam ducere. Platina, in Vitâ Eugenii IV, folio 310.
  2. Ex Platinâ, in Eugenio IV, folio 310.
  3. Volat., lib. XXII, pag. 814.
  4. Ibidem.
  5. Blondus, saint Antonin, Platine, Volaterran, Nauclérus.
  6. Ad ann. 1434, num. 4.
  7. Voyez le Journal des Savans, du 2 mars 1682, pag. 79, édition de Hollande.
  8. Launoius, epist. ultima, I part., pag. 82, edit. Cantabrig.