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EURYDICE.

qu’avoir un peu de lecture des poëtes et des historiens, on eût pu satisfaire à la condition ; mais Euphrate demandait qu’on fût géomètre ou philosophe : or ce sont deux caractères, et principalement le premier, qui ne sont au goût que de peu de gens, parmi même ceux qui cultivent les sciences.

EURYDICE, femme d’Amyntas, roi de Macédoine, donna quatre enfans à son mari : trois fils, Alexandre, Perdiccas, et Philippe, père d’Alexandre-le-Grand, et une fille nommée Euryone. Ce fut une reine qu’on ne peut assez détester ; car elle devint si amoureuse de son gendre, que pour l’épouser elle s’engagea à le mettre sur le trône, et à faire mourir son mari (A). Cette abominable conspiration eût été exécutée, si Euryone n’eût appris au roi les adultères et les pernicieux desseins d’Eurydice. Le roi, convaincu des crimes de son épouse, ne la punit point : il lui fit grâce pour l’amour des enfans qu’il avait eus d’elle. Après qu’il fut mort, son fils Alexandre lui succéda et ne vécut guère, car Eurydice enragée de lubricité et d’ambition le fit périr. Elle exécuta le même crime sur Perdiccas, son second fils, qui était monté sur le trône après la mort d’Alexandre [a]. Les historiens qui nous restent l’ont laissée là, sans nous apprendre ce qu’elle devint, ni si elle fut punie de ses mauvaises actions. Il y a même des historiens, qui, sans faire mention d’elle ni en bien ni en mal, attribuent à d’autres causes la mort des deux princes qui régnèrent successivement après Amyntas. Cela est un peu étrange (B). Je rapporterai un fait qu’on trouve dans les harangues d’Eschine (C), et je critiquerai quelque chose au jésuite Bissélius (D). Observons qu’Arrabée, prince des Lyncistes, issu des Bacchiades, était l’aïeul maternel de notre Eurydice [b].

  1. Tiré de Justin, liv. VII, chap. IV et V.
  2. Strabo, lib. VII, pag. 226.

(A) Elle devint si amoureuse de son gendre, que pour l’épouser elle s’engagea à le mettre sur le trône, et à faire mourir son mari. ] Voici les paroles de Justin qui nous apprennent cet affreux déréglement. Insidiis Eurydices uxoris, quæ nuptias generi pacta, occidendum virum, regnumque adultero tradendum susceperat, occupatus fuisset (Amyntas) nî filia pellicatum matris et sceleris consilia prodidisset [1].

(B) Cela est un peu étrange. ] Le Justin que nous avons est un abrégé d’une histoire générale que Trogue Pompée avait écrite assez amplement. Ne doutons point que les actions d’Eurydice ne se trouvassent dans cette histoire avec beaucoup plus d’étendue qu’on ne les voit présentement dans Justin ; mais surtout ne doutons pas que Trogue Pompée n’eût lu dans de bons auteurs ce qu’il en narra. D’où vient donc que Diodore de Sicile ne fait aucune mention de cette reine ? D’où vient qu’il dit qu’Alexandre, fils aîné d’Amyntas et son successeur [2], fut tué par Ptolomée Alorites, son frère [3], et qu’au bout de trois ans [4], ce Ptolomée reçut de Perdiccas un semblable traitement [5] ? N’avait-il point lu les mêmes auteurs que Trogue Pompée a consultés ? S’il ne les avait point lus, nous pouvons nous plaindre de sa négligence ; et s’il les avait lus, nous lui pouvons soutenir qu’il n’a point dû supprimer ce qui s’est dit d’Eurydice.

  1. Justin., lib. VII, cap. IV.
  2. Diodorus Siculus, lib. XVI, cap. II, pag. m. 736.
  3. Idem, lib. XV, cap. LXXI, pag. m. 712, ad ann. 1, olymp. 103.
  4. Idem, ibidem.
  5. Idem, lib. XVI, cap. II.