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EURYDICE.

Il aurait beau répondre qu’il le trouvait mal fondé, nous lui répondrions que pour le moins il devait dire qu’on l’avait injustement accusée d’avoir fait mourir ses fils. De prétendre qu’il a bien su qu’elle était coupable, mais qu’il l’a épargnée en dissimulant, n’est pas une chose vraisemblable ; car quel intérêt avait-il à ménager une reine morte depuis si long-temps, et dont toute la postérité était éteinte ?

(C) Je rapporterai un fait qu’on trouve dans les harangues d’Eschine. ] Si nous ne connaissions Eurydice que par cet endroit, nous aurions beaucoup d’estime pour sa mémoire. Nous lisons dans cet orateur, que cette reine, après la mort d’Alexandre son fils aîné, se vit sur les bras une affaire très-embarrassante. Pausanias qui avait été exilé se prévalut des conjonctures, et ayant des troupes grecques à sa disposition, et plusieurs amis dans la Macédoine, il résolut de s’emparer du royaume. Eurydice le vit bientôt maître de quelques places, et trouva très-peu de fidélité dans ses amis. La division se glissa parmi les sujets ; un très-grand nombre témoignèrent de l’inclination pour Pausanias. Dans cette fâcheuse extrémité elle fit venir Iphicrate, général des Athéniens, qui était proche d’Amphipolis, et lui mettant entre les bras son fils Perdiccas, et sur les genoux son fils Philippe, elle le fit souvenir qu’il était leur frère d’adoption, et qu’il y avait eu toujours beaucoup d’amitié entre le feu roi Amyntas, et la république d’Athènes ; et le supplia instamment que, pour ces raisons, il lui plût de travailler pour eux, et pour elle, et pour la conservation du royaume. Iphicrate fut si touché de ces prières, qu’il chassa Pausanias [1]. Tout irait bien pour Eurydice, si l’on n’en savait point d’autres nouvelles ; mais quand on songe aux narrations de Justin, on ne se sent point tenté de la louer de ce qu’elle fit auprès d’Iphicrate. La plus ambitieuse de toutes les mères, et la plus capable de sacrifier à son ambition la vie de ses enfans, aurait pu faire, en cette rencontre, tout ce que fit Eurydice ; car elle avait tout à craindre de Pausanias.

(D) Je critiquerai quelque chose au jésuite Bissélius. ] Il assure sans réserve que Diodore de Sicile agit de mauvaise foi en ne disant rien des parricides d’Eurydice : c’est le sens de ces paroles : Diodorus..…. perpetuus Eurydices parricidiorum dissimulator [2]. Je ne lui objecte point qu’on ne peut comprendre par quel principe cet historien aurait usé de dissimulation : je me contente de lui dire qu’il devait demeurer ferme sur la première censure ; qu’il ne devait point varier ; qu’il ne devait pas la réfuter en se réduisant à des termes vagues et de suspension : Qui Diodorus, dit-il en un autre endroit [3], incertum quâ causâ studiove, de scelere ac parricidiis Eurydices altum silet. Il ajoute une chose qui mérite encore plus d’être censurée : Et è contrario : in Perdiccam verbis claris culpam detorquet necati hujus Ptolemæi, quin et necis Alexandri prædecessoris : quando sic loquitur, simili fraude sublatus est à Perdiccâ Ptolemæus (quâ fraude scilicet Alexander quem paullò superius dixerat, dolo interemptum) nec addit, ab Eurydice. Il se trompe : Diodore ne prétend en nulle manière charger Perdiccas de la trahison qui fit périr Alexandre : il ne l’impute qu’à Ptolomée Alorite, comme il paraît clairement par un passage du livre XV [4]. Si le père Bissélius avait connu cet endroit de Diodore, il n’eût point parlé comme il a fait ; il eût su que cet auteur n’a voulu dire autre chose [5], sinon que Perdiccas ôta la vie à Ptolomée Alorite, par une trahison semblable à celle dont s’était servi ce Ptolomée pour faire mourir Alexandre. Et voilà combien il importe de savoir ce qu’un auteur dit en divers endroits. D’ailleurs, à quoi songe Bissélius [6] de nous citer Guthberlet, auteur de trois jours, afin de prouver que le règne de cet Alexandre ne dura qu’un an, et que celui de Pto--

  1. Tiré de la Harangue d’Eschine, de Falsâ legatione, pag. m. 250. Voyez aussi Cornélius Népos, in Vitâ Iphicratis, cap. III.
  2. Joannes Bisselius, illustrium Ruinarum, decad. IV, pag. m. 1118.
  3. Idem, ibid., pag. 1287.
  4. Diodor. Siculus, lib. XV, cap. LXXI.
  5. Dans le IIe. chapitre du livre XVI.
  6. Bisselius, Illustrium Ruinarum, pag. 1287.