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FONTARABIE

Juste, et du ministère du cardinal de Richelieu. Il faut là-dessus entendre Balzac [1] : Ne parlons jamais de***. C’est la honte et l’ignominie du nom français ; c’est une journée que les Romains eussent appelée scelerata, et que nous devons appeler maudite. Il faut que la postérité la déteste, ou plutôt il faut qu’elle l’ignore, et que nous l’effacions, s’il y a moyen, de l’année mille***.

Que ce jour soit rayé des choses avenues,
Jupiter le commande aux trois filles chenues
Qui tiennent registre des temps.


Il y a des gens à qui la fortune veut mal, entre les mains desquels les plus belles occasions se gâtent et se corrompent. Quand on a dessein de lever des siéges et de perdre des armées, il ne faut que les employer : à l’heure même toutes les places deviennent des Acrocorinthes, et tous les ennemis des Alexandres. Il est visible que ces gens à qui la fortune veut mal, etc. sont un voile sous lequel on couvre M. le prince de Condé [2]. C’était dire gravement et respectueusement la plaisanterie de la chanson,

Il prendra Fontarabie,
Zest,
Comme il a pris Dole [3].

(C)... Ce qui sans doute fut pris pour un merveilleux présage par les Espagnols. ] Il ne faut point douter que leurs poëtes et leurs orateurs n’aient fait valoir avec une extrême pompe la circonstance du temps : un triomphe signalé, une victoire complète, deux jours [4] après la naissance d’un dauphin que la France souhaitait depuis tant d’années. Quel bon augure pour l’Espagne ! Que ne doit-elle pas espérer sous le règne d’un prince français, dont les premiers jours de la vie ont été marqués par une bataille très-glorieuse aux Espagnols, et très-honteuse à la France ? le premier courrier que l’on ait vu à la cour de France depuis la naissance du dauphin, est apparemment celui qui portait la triste nouvelle du siége de Fontarabie levé : quel horoscope ! ô l’heureux présage pour la monarchie espagnole ! Je suis sûr qu’on ferait un livre de toutes les saillies poétiques qui échappèrent alors aux écrivains de cette nation. Cependant, que sont devenus tous ces bons présages ? Ils ont été des oracles de sibylle écrits sur des feuilles : autant en emporte le vent [5]. Il est bon de faire sentir à toutes les plumes poétiques, soit qu’elles écrivent en prose soit qu’elles écrivent en vers, qu’il ne faut pas se mêler de prophétiser. La reine de France accoucha d’un prince dans le temps qu’on recevait courrier sur courrier sur les progrès que Louis XIV faisait en Hollande, l’an 1672. Là-dessus que ne dirent point les poëtes français ? quels triomphes ne promirent-ils point au prince qui venait de naître au milieu de tant de bonnes nouvelles ? Et néanmoins il a vécu peu de temps.

Au reste, il y eut un jésuite [6], qui se servit de la pensée d’un auteur païen, pour parer la levée du siége de Fontarabie. La bonne fortune du roi, dit-il [7], était si empressée à Saint-Germain, qu’elle ne put pas se trouver à Fontarabie. Il voulait dire que cette bonne fortune donnait tous ses soins à la naissance du dauphin. Plutarque a fort mal traité cette pensée. Alexandre, dit-il [8], nasquit le sixième jour de juin, auquel jour propre fut bruslé le temple de Diane en la ville d’Éphèse, comme temoigne Hegesias Magnesien, qui en fait une exclamation et une rencontre si froide, qu’elle eust pu estre suffisante pour esteindre l’embrasement de ce temple. Car il ne se faut pas, dit-il, esmerveiller comment Diane laissa lors brusler son temple, pour ce qu’elle estoit assez empeschée à entendre comme sage-femme à l’enfantement et à la nais-

  1. C’est une lettre qu’il écrivit à Chapelain, (la onzième du IIIe livre.) On a mis des étoiles en certains endroits, afin de dépayser des lecteurs. Je suis sûr que, par le même motif, on a mis une fausse date au bas de la lettre. On y a mis le 8 mai 1638, au lieu du 8 octobre 1638. C’est qu’on ne voulait pas choquer un prince du sang : c’était le prince de Condé qu icommandait à ce siége.
  2. L’aïeul de celui qui porte ce nom, cette année 1695.
  3. Voyez le Dictionnaire de Richelet, au mot Zest.
  4. Le 7e. jour de septembre 1638.
  5. Foliis tantùm ne carmina manda,
    Ne turbata volent rapidis ludibria ventis.
    Virgil., Æn., lib. VI, vs. 74.

  6. Nommé Josset. Voyez la lettre que Balzac lui écrivit. C’est la XVe. du livre III de la Ire. partie des Lettres choisies.
  7. Balzac parle de cela dans ladite lettre. Voyez l’Apolosie de Costar, pag. 92.
  8. Dans la Vie d’Alexandre, assez près du commencement : je me sers de la version d’Amyot.