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HENRI II.

teuses s’en indignèrent. Le dauphin, ayant appris que Castellan avait parlé de la sorte, en eut une joie extrême, non à cause qu’il avait été loué, mais à cause que l’on s’était déclaré pour l’innocence auprès de François Ier., à qui il craignait qu’on ne le rendît odieux [1], apud quem ne in suspicionem aut odium traheretur metuebat [2]. Maudites pestes de cour ! qui pourrait vous détester suffisamment ? Quelle malignité que de nourrir par tant d’artifices la jalousie de deux frères ! N’oublions pas que l’astrologie de Castellan fut fausse à l’égard du duc d’Orléans. Il mourut peu de temps après ; et cependant elle lui avait présagé une très-grande puissance, que Castellan considérait comme une chose à venir ; et il ne pouvait pas la considérer autrement en ce temps-là ; car ce prince mourut dix-neuf mois ou environ avant son père, et n’avait pas encore vingt-quatre ans.

(U) Plusieurs auteurs disent qu’un fameux tireur d’horoscopes avait prédit que Henri II serait tué en duel. ] Voyons ce qu’en dit Brantôme [3]. « J’ay ouï conter et le tiens de bon lieu, que quelques années avant qu’il mourust (aucuns disent quelques jours) il y eut un devin qui composa sa nativité, et la luy fut présenter. Au-dedans il trouva qu’il devoit mourir en un duel et un combat singulier : Monsieur le connestable y estoit present, à qui le roy dit, voyez, mon compere, quelle mort m’est presagée. Ah ! sire, respondit monsieur le connestable, voulez-vous croire ces marauts, qui ne sont que menteurs et bavards ? Faites jetter cela au feu. Mon compere, repliqua le roy, pourquoy ? ils disent quelquefois vérité ; je ne me soucie de mourir autant de cette mort que d’une autre, voire je l’aimerais mieux, et mourir de la main de quiconque ce soit, pourveu qu’il soit brave et vaillant, et que la gloire m’en demeure : et sans avoir esgard à ce que luy avoit dit monsieur le connestable, il donna cette prophetie à garder à M. de l’Aubespine, et qu’il la serrast pour quand il la demanderoit.…. [4]. Or le roy ne fut pas plustost blessé, pansé, et retiré dans sa chambre, que monsieur le connestable se souvenant de cette prophetie, appella monsieur de l’Aubespine, et luy donna charge de l’aller querir, ce qu’il fit, et aussitost qu’il l’eust veue et leue les larmes luy furent aux yeux. Ah ! dit-il, voilà le combat et duel singulier où il devoit mourir, cela est fait, il est mort : il n’estoit pas possible au devin de mieux et plus à clair parler que cela, encore que de leur naturel ou par l’inspiration de leur esprit familier ils sont toujours ambigus et douteux, et ainsi ils parlent toujours ambiguement, mais là il parla fort ouvertement. Que maudit soit le devin qui prophetisa si au vray et si mal ! » M. de Thou ne fait pas comme Brantôme, qui ne dit point comment s’appelait le devin : il l’appelle Luc Gauric, et il ajoute que cet horoscope fut dressé à la prière de Catherine de Médicis, et qu’on s’en moqua jusques à ce que le roi eût reçu cette blessure. M. de Thou débite cette prédiction comme un fait certain [5]. Mais ceux qui citent les propres paroles de Luc Gauric, tirées de l’horoscope de Henri II, méritent plus de croyance. Or il est certain par ces paroles que le devin promettait une longue vie à ce monarque, et qu’il ne le menaçait point d’un duel funeste. Gassendi n’a pas manqué de citer ce grand exemple, et d’ajouter que Cardan ne se trompa pas moins que Gauric dans l’horoscope du même prince [6]. Constat ex historiis Henricum II

  1. Tiré de la Vie de Pierre Castellan, composée par Gallandius, chap. XLIV, pag. 72 et suiv.
  2. Idem, ibidem, pag. 74.
  3. Brantôme, Discours de Henri II, au IIe. tome de ses Mémoires, pag. 50.
  4. Là même, pag. 52.
  5. Genus ac tempus mortis à Lucâ Gaurico mathematico Pauli tertii perfamiliari prædictum Constat, cùm Catharina uxor futuri anxia fœmina eum super viri ac filiorum fato consuleret, fore nimirùm ut in duello caderet, vulnere in oculo accepto : quod irrisum à multis ac pro tempore neglectun fuit, quasi regis conditio supra duellum posità esset. Thuan., lib. XXII, sub finem.
  6. Gassendus, sect. II Physicæ, lib. VI, pag. 745, tom. I Operum.