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HENRI II.

que allemand ; et par un titre magnifique le roy en plein parlement se faict proclamer protecteur de la liberté germanique, c’estoit à dire de l’hérésie germanique ; et comme tel fit forger monnoye portant ceste inscription. Sous ce beau titre entreprismes le voyage avecques une puissante armée. En quoy les choses nous reüssirent de telle façon, que sur la seule renommée de nostre entreprise, estant sur le point de passer le Rhin, l’empereur fut contraint de passer les choses à l’amiable avec ses subjects et leur accorder plusieurs passe-droits contre l’honneur de Dieu et de sa conscience, qu’il n’eust autrement tollerez. Quant à moy, je veux croire que Dieu nous voulut depuis chastier de mesmes verges, dont nous affligeasmes l’empereur ; ayant permis qu’après le decez de Henry, ses enfans mineurs fussent guerroyez par leurs subjects, pour Îe soustenement d’une opinion plus violente que celle de Luther ; et qu’ils s’aidassent des princes allemands contr’eux. Et quand Dieu voulut exercer sa vengeance sur nous, il fut hors de toute puissance humaine d’y remedier, et fit que tous les remèdes que nous y avions pensé apporter se tournassent à notre ruine. » Pasquier fait une autre remarque qui ne me paraît pas bonne. Au retour de ce beau voyage d’Allemaigne, dit-il [1], Calvin commença de solliciter uns et autres par lettres, qui se laisserent aisément surprendre, estimans, comme il est à croire, que puisque le roi et son conseil avoient pris la protection des luthériens, ils estoient en leurs ames de pareille religion. Ainsi s’espandit petit à petit un seminaire de nouvelle religion par la France ; laquelle vint enfin jusques aux parties nobles, je veux dire jusques aux princes et grands seigneurs. L’auteur fait là deux fautes : il suppose que Calvin ne commença à solliciter les Français par lettres, que vers la fin de l’année 1552. Cela est faux : il m’avait cessé d’en user ainsi depuis l’an 1536 ; et d’ailleurs il n’est pas vrai que les Français pussent croire que Henri II et son conseil estoient en leurs âmes luthériens. On ne pouvait pas douter du contraire, puisque l’on voyait ce prince persécuter à feu et à sang ceux de la nouvelle religion, dans tout son royaume. La protection qu’il accorda, et les bons offices qu’il rendit aux protestans d’Allemagne ne servaient de rien à éluder cette preuve de son aversion pour leur secte ; on voyait seulement par-là qu’il sacrifiait aux intérêts politiques de son état les intérêts de sa religion. C’est le train ordinaire des souverains. Ils le quittent quelquefois pour sacrifier à l’esprit de persécution, non-seulement les conquêtes qu’ils pourraient faire, mais aussi celles qu’ils ont déjà faites, et les plus solides avantages de leur état. Henri II en fut un exemple lorsqu’il accepta la paix de Cateau.

(BB) Un roi trop enclin à répandre des faveurs est plus préjudiciable à son état qu’un roi trop enclin à n’en point répandre. ] Un jurisconsulte français [2] à soutenu que « ceux-là s’abusent bien fort, qui vont louant et adorant la bonté d’un prince doux, gracieux, courtois et simple : car telle simplicité sans prudence est tres dangereuse et pernicieuse en un roy, et beaucoup plus à craindre que la cruauté d’un prince severe, chagrin, revesche, avare et inaccessible. Et semble que nos peres anciens n’on pas dit ce proverbe sans cause : De meschant [3] homme bon roy : qui peut sembler estrange aux aureilles delicates, et qui n’ont pas accoustumé de poiser à la balance les raisons de part et d’autre. Par la souffrance et niaise simplicité d’un prince trop bon, il advient que les flatteurs, les corratiers et les plus meschans emportent les offices, les charges, les bénéfices, les dons, espuisant les finances d’un estat : et par ce moyen le povre peuple est rongé jusqu’aux os, et cruellement asservi aux plus grands : de sorte

  1. Pasquier, Lettres, liv. XV, pag. 219.
  2. Bodin, de la République, liv. II, chap. IV, vers la fin, pag. m. 295. Voyez aussi liv. VI, chap. II, pag. 895.
  3. Notez qu’il ne donne pas à ce mot toute son étendue, il ne le prend que selon la signification d’austère et de rigoureux. Voyez la fin de ce chapitre du IIe. livre de Bodin.