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HENRI II.

que pour un tyran il y en a dix mil, etc. » Voulant confirmer ensuite sa thèse par des exemples, il dit ceci [1] : On a veu ce roiaume aussi grand, riche et fleurissant en armes et en loix sur la fin du roy François Ier., lors qu’il devint chagrin et inaccessible, et que personne n’osoit approcher de lui pour rien lui demander : alors les estats, offices, et bénéfices n’estoyent donnez qu’au mérite des gens d’honneur : et les dons tellement retranchez, qu’il se trouva en l’espargne quand il mourut, un million d’or, et sept cens mil escus, et le quartier de mars à recevoir, sans qu’il fust rien deu sinon bien peu de chose aux seigneurs des ligues, et à la banque de Lyon, qu’on ne vouloit pas payer pour les retenir en devoir : la paix asseurée avec tous les princes de la terre : les frontieres estendues jusqu’aux portes de Milan : le royaume plein de grands capitaines, et les plus scavans hommes du monde. On a veu depuis en douze ans que regna le roy Henry II (la bonté duquel estoit si grande, qu’il n’en fut onques de pareille en prince de son aage) l’estat presque tout changé : car comme il estoit doux, gracieux et debonnaire, aussi ne pouvoit-il rien refuser à personne : ainsi les finances du pere en peu de mois estant espuisées, on mit plus que jamais les estats en vente, et les bénéfices donnez sans respect : les magistrats aux plus offrans, et par conséquent aux plus indignes : les imposts plus grands qu’ils ne furent onques auparavant : et neantmoins quand il mourut, l’estat des finances de France se trouva chargé de quarante et deux millions : après avoir perdu le Piedmont, la Savoye, l’isle de Corse et les frontieres du Bas Païs : combien que ces pertes-là estoyent petites, eu esgard à la réputation et à l’honneur. Si la douceur de ce grand roy eust esté accompagnée de severité, sa bonté meslée avec la rigueur, sa facilité avec l’austerité, on n’eust pas si aisément tiré de lui tout ce qu’on vouloit. L’opinion de ce savant homme semble d’abord un paradoxe ; mais quand on l’examine de bien près, on la trouve bien fondée.

(CC) Il pervertit l’administration de ses finances, et s’endetta prodigieusement. ] « Il y avoit une ordonnance du roy François Ier. confirmée par son successeur, portant qu’il y auroit quatre clefs du coffre de l’espargne, desquelles le roy en aurait une, et que les autres seroyent entre les mains des commissaires par lui establis : et la distribution des deniers se devoit faire par le mandement du roy en présence du thresorier et contreroleur de l’espargne. Mais le roy Henri II par edict [* 1] après deschargea les commissaires et officiers de l’espargne, à fin qu’on ne leur peust à l’advenir faire rendre compte : tant y a que l’un des commissaires eut en pur don pour une fois cent mil escus, si le bruit qui en courut par-tout estoit vray : qui estoit beaucoup alors [2]. » C’est Bodin qui fait cette observation, qui peu après ajoute [3] que François Ier. ne fit pas autant de largesses pendant un règne de trente-deux ans, que son successeur en fit pendant deux années. François Ier. n’avoit quasi pas fermé les yeux, que le tilletage ou reachet des offices, qui estoit dès lors une somme infinie, fut donnée à une seule personne [4]. Voyons comment on a exprimé cela dans la traduction latine. Nondùm justa parenti fecerat (Henricus secundus) cùm hirudo quædam Palatina pecuniæ vim infinitam quam officiarii acceptâ confirmatione regibus initiatis fisco dependere solent, uno absorbuit et eodem haustu [5]. La prodigalité de ce prince fut cause sans doute qu’il imposa de nouvelles charges à ses sujets, sans se souvenir des promesses qu’il avait faites en créant ces impositions. Considérez bien ces paroles de Bodin [6] : « Quand le taillon fut mis sur les subjects l’an mil cinq cens quarante neuf, le roy fit promesse de n’affecter, n’employer les deniers à autre usage,

  1. (*) En 1556.
  1. Là même, pag. 296.
  2. Bodin, de la République, liv. VI, chap. II, pag. 104.
  3. Là même, à la page 1055 de l’édition latine, 1601, in-8°.
  4. Là même, pag. 905 de l’édition française, 1608, in-8°.
  5. Là même, pag. 1055.
  6. Là même, pag. 891.