Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T08.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
HENRI III.

pe (L). L’une des plus grandes bizarreries de sa destinée fut qu’il s’attira également l’inimitié des papistes et celle des huguenots. Ces deux partis opposés en toutes choses, et quant au spirituel et quant au temporel, s’accordèrent dans l’aversion pour ce prince. Ce fut un centre d’unité pour des gens qui trouvaient partout ailleurs un sujet de division. Humainement parlant, les huguenots avaient de justes raisons de le haïr ; car il les persécutait à toute outrance, et il passait pour l’un des plus grands promoteurs de la Saint-Barthélemi, et il se glorifiait même de l’avoir été [a]. Cela joint avec son attachement aux dévotions les plus monacales devait lui concilier l’amitié des ecclésiastiques et des zélateurs les plus ardens de la foi romaine ; et néanmoins il fut l’objet de leur haine plus qu’on ne saurait se l’imaginer. Voilà un furieux caprice de l’étoile : en voici encore un autre. Tout ce qu’il avait aimé le plus ardemment tourna enfin à son préjudice [b]. Ce que nous avons dit [c], touchant les désordres que la prodigalité de Henri II fit naître, convient encore davantage au règne de Henri III, prince infiniment plus prodigue que son père. Aussi vit-on sous ce règne-là plus de maltotes, plus d’édits bursaux et plus de dissipations de finances qu’il n’en avait jamais paru dans le royaume. Le mal eût été encore plus-grand, si ce prince eût pu obtenir la permission d’aliéner le domaine. Mais les états généraux ne voulurent pas y consentir (M). Remarquons qu’Henri III, qui par rapport à ses favoris n’était point jaloux de l’autorité, et n’aspirait point à l’indépendance, souhaitait passionnément d’amplifier le pouvoir royal (N). Je dirai quelque chose de ses dévotions (O), et je n’oublierai point qu’il fut éloquent, qu’il aima les sciences, et qu’il se plaisait beaucoup à entendre discourir les personnes doctes. Mais on trouva du contre-temps à cela et à la peine qu’il prit d’étudier la langue latine (P). On nous a envoyé deux mémoires bien curieux : l’un regarde la proposition qu’on lui avait fait goûter de reconnaître pour son successeur le fils aîné du duc de Lorraine (Q) ; l’autre regarde ce que le député de la ligue eut ordre de représenter au pape après que le jacobin Jacques Clément eut assassiné ce roi (R). Cet assassinat exécrable fut commis au bourg de Saint-Cloud. Quelques auteurs protestans ont relevé cette circonstance, et y ont trouvé des mystères. Le fait qu’ils allèguent paraîtra fort incertain pendant qu’ils laisseront (S) sans réplique les observations de Pierre-Victor Cayet.

  1. Thuan., lib. XCVI, pag. 301.
  2. Ei fatale erat ut quicquid ardentius dilexerat, id illi postremò perniciem adferret. Idem, lib. XC, sub fin., pag. m. 193.
  3. Voyez pages 28-29 de ce volume, à la remarque (BB) de l’article HENRI II,

(A) On peut dire de lui, comme de Galba, qu’il eût paru digne de la couronne s’il ne l’eût jamais portée. ] Tout le monde a remarqué ce mot de Tacite : major privato visus (Galba) dum privatus fuit, et omnium consensu capax imperii, nisi imperâsset [1]. Suétone dit la même cho-

  1. Tacitus, Histor., lib. I, cap. XLIX.