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HENRI III.

se en d’autres termes : Majore adeò et favore et auctoritate adeptus est quàm gessit imperium [1]. On a fait un semblable jugement de l’empereur Jovien [2] : mais on disait tout le contraire de Marius [3]. Notre Henri III vérifia à son dam cette judicieuse maxime, magistratus virum prodit [4] : il fit voir en portant une couronne, qu’on s’était trompé en le jugeant digne de la porter. Ce n’est point à lui qu’on appliquera raisonnablement ces paroles de Cassiodore : Hic est probatæ conscientiæ gratissimus fructus, ut quamvis summa potuerit adipisci, judicetur tamen ab omnibus plus mereri [5]. Encore moins pouvait-on dire de lui le magna eum præcesserat fama, quâ major inventus est [6].

(B) Les dépenses excessives qu’il faisait pour ses mignons. ] [7] « La principale occupation et le plus grand plaisir de ce roi consistant à plaire à deux favoris [8], il témoignait ne pouvoir être content, qu’il ne les eût faits aussi grands que lui-même, et rendus si puissans, disait-il, qu’il ne fût pas au pouvoir ni de l’envie, ni de la fortune de les détruire. Il voulut donc, n’ayant point de filles à leur donner pour les allier aussi hautement qu’il désirait, les marier avec les sœurs de sa femme, qui étaient Marguerite et Christierne, quoiqu’ils fussent déjà fiancés avec deux autres héritières.... Or, afin de les honorer de quelque titre qui les élevât à l’honneur d’une si haute alliance que la sienne, il voulut leur donner à tous deux la qualité de duc et pair... Cependant le duc de Lorraine amena ses nièces avec autant de suite et de magnificence que s’il les eût voulu marier à des rois. Pour Christierne, étant encore trop jeune, elle fut seulement fiancée au duc d’Epernon, et pourtant elle ne l’épousa pas, mais aima mieux prendre le voile sacré. Pour Marguerite, ses fiançailles s’étant faites au Louvre dans la chambre de la reine, les noces en furent célébrées huit jours après dans l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois. Il serait superflu de vous décrire les mascarades, les ballets, les tournois les festins, les musiques et toutes les autres magnificences que le luxe inventa pour cette réjouissance : en un mot elle dura près de six semaines, et Paris, le théâtre des merveilles, n’avait jamais rien vu de semblable. Le roi, habillé de même que son favori, mena la mariée à l’église...... Ensuite des noces il ordonna dix-sept festins, qui se firent de rang par les princes et seigneurs parens de la mariée : le moindre revenait à plus de cent mille livres, à tous lesquels les conviés changèrent d’habits si riches et si précieux, que les draps d’or et d’argent n’y avaient point de lustre. Il y en avait qui coûtaient dix mille écus de façon. Enfin la dépense y fut si prodigieuse, que le roi, pour sa part seulement, n’en fut pas quitte à moins de quatre millions de livres, outre qu’il promit payer au marié, pour la dot de sa femme, quatre cent mille écus dans deux ans : et quand on lui remontrait que l’excès de ses profusions le ruinerait, il répondait qu’il serait sage après qu’il aurait marié ses deux enfans. Il entendait Joyeuse et d’Épernon. » Les ambassadeurs suisses étant venus à Paris demander de l’argent qu’on leur devait, et les trésoriers leur ayant répondu que le roi n’en avait point, et qu’ils prissent patience, ils repartirent, selon la liberté de la nation, qu’il n’était pas croyable qu’un prince si sage et si avisé eût dépensé douze cent mille écus pour son plaisir aux noces d’un gentilhomme, sans en avoir bien d’autres dans ses coffres pour subvenir aux affaires de son royaume [9].

  1. Sueton., in Galbâ, cap. XIV.
  2. Decessit suscepto clarior apice quàm gesto. Jo. Cluverus, epit. Historiar. mundi, pag. m. 308.
  3. Marius in potestatibus eo modo agitavit, at ampliure quàm gerebat, dignus haberetur. Sallust., in Bello Jugurth.
  4. Voyez Aristote, de Moribus, lib. V, cap. III, pag. m. 44, G.
  5. Cassiodor., Variarum lect., lib. I, epist. IV.
  6. Plin., epist. III, lib. II.
  7. Mézerai, Histoire de France, vol. III, pag. 499, 500, à l’ann. 1580.
  8. C’étaient les ducs de Joyeuse et d’Épernon.
  9. Mézerai, tom. III, pag. 500.