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HENRI III.

Voyez dans le même historien [1] la tendresse extravagante que ce prince témoigna pour Maugiron et Quélus, quand ils se furent battus en duel [2].

(C) Il encourut la haine des dames, et cela lui fut fort préjudiciable. ] « Les dames, à qui les mignons disaient tout, découvraient au duc de Guise tous les secrets du cabinet, pour se venger du roi, qu’elles haïssaient pour certaines raisons qu’on ne dit pas [3]. » C’est de M. Maimbourg que j’emprunte ces paroles : on y voit manifestement combien les dames nuisaient au roi ; mais au reste les raisons de leur haine sont assez intelligiblement expliquées par plusieurs historiens. Voyez en note les paroles de Mézerai [4]. La réflexion rapportée par l’auteur des Nouvelles de la République des Lettres est une vraie chicane. Quelques censeurs, dit-il [5], ont trouvé mauvais que M. Maimbourg ait dit, que les dames à qui les mignons disaient tout, etc. Ils disent que ces paroles sont tout-à-fait désobligeantes pour le beau sexe, parce qu’on insinue par-là, que les femmes conçoivent de l’aversion pour les hommes qui se veulent passer d’elles. Or, disent-ils, si elles sont sages, que leur importe que l’on s’en veuille passer ? Cela leur doit être fort indifférent. S’il ne l’est pas, c’est un signe manifeste qu’elles ne veulent point être sages. Mais je me sens obligé de prendre le parti de M. Maimbourg contre des censeurs si iniques. Je dis donc qu’il ne parle que des dames qui étaient dans les intrigues du duc de Guise [6], et qu’il ne faut point douter que les femmes qui ont ce caractère ne haïssent fortement quand elles en ont les raisons que l’on sous-entend ici. On en conclura tant que l’on voudra que si elles étaient sages, cela leur serait indifférent. On dira, si l’on veut, que cette conclusion est désobligeante. M. Maimbourg s’est précautionné contre ces sortes de subtilités dans sa préface ; il y déclare qu’il cherche la vérité, et non pas ce qui peut obliger les gens, et que si on n’y trouve pas son compte, il s’en faut prendre aux législateurs des historiens, qui leur ordonnent de dire les choses comme elles sont, et non pas comme elles devraient être.

C’est trop subtiliser : il est naturel d’être bien aise que les talens qui nous rendent recommandables ne tombent pas dans le mépris ; cela, dis-je, est naturel, encore qu’on ne veuille pas faire un mauvais usage de ses qualités. On a porté un peu trop loin la raillerie dans le Voyage de MM. Chapelle et Bachaumont, au sujet de la colère que l’on attribue aux femmes de Montpellier contre le malheureux d’Assoucy.

(D) La duchesse de Montpensier [7] se vengea terriblement de quelque chose qu’il avait dit d’elle. ] « On rapportait au roi que la ligue ne lui voulait pas un moindre mal que de le faire moine, et que la duchesse de Montpensier montrait ses ciseaux qu’elle avait destinés pour le raser. C’était qu’il avait offensé cette veuve, tenant des discours qui découvraient quelques défauts secrets qu’elle avait, outrage bien plus impardonnable à l’égard des femmes, que celui qu’on fait à leur honneur [8]. » L’offense tenait bien au cœur à cette duchesse, si l’on en juge par les mouvemens qu’elle se donna pour perdre Henri III. Elle porta sa bonne part de matière, d’inventions de son gentil esprit, et du travail de son corps, à bastir ladite ligue : si qu’après avoir esté bien bastie, jouant aux cartes un jour à la prime (car elle aimoit fort le jeu), ainsy qu’on luy disoit qu’elle meslât bien les cartes, elle respondit devant beaucoup de gens : je les ay si bien meslées qu’elles ne se sçauroient mieux mesler ny demesler. Cela eût esté bon si les siens n’eussent esté

  1. Là même, pag. 451, à l’ann. 1578.
  2. Maugiron fut tué sur la place Quélus, blessé de dix-neuf coups, vécut encore trente-trois jours.
  3. Maimbourg, Histoire de la Ligue.
  4. Depuis la mort de la princesse de Condé Henri III avait eu peu d’attachement pour les femmes, et son aventure de Venise lui avait donné un autre penchant. Mézerai, Abrégé chronol., tom. V, pag. 251, à l’ann. 1581.
  5. Mois d’avril 1684, art. III, pag. 135.
  6. Il est sûr qu’il entend les dames en général.
  7. Elle était sœur du duc de Guise, tué à Blois.
  8. Mézerai, Abrégé chronol., pag. 315, à l’ann. 1558. Voyez la Critique générale du Calvinisme de Mainbourg, lettre III, pag. 44.