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HENRI III.

à peu près comme elle a fait aujourd’hui. Il conçut de grandes espérances pour sa fortune, s’il prenait ce temps-là de se déclarer contre la France, et effectivement en 1588 il joignit ses armes à celles des ennemis de Henri III ; et, après avoir formé un puissant parti dont il se déclara le chef, il entra dans la Provence, s’empara par artifice des villes de Marseille et d’Arles, et devint si fier par ces conquêtes, qu’il fit frapper une monnaie qui devait servir de monument pour immortaliser sa mémoire. Il s’était fait représenter sous l’emblème d’un centaure, etc. L’auteur ajoute qu’Henri IV ayant porté la guerre en Italie, l’an 1600, se rendit maître presque de toute la Savoie et du Piémont, et qu’il fit frapper à son tour une médaille, etc. Ce narré n’est point exact : la jonction des armes du duc de Savoie avec les ennemis du roi Henri III ne se fit point l’an 1588. Ce ne fut point non plus cette année-là, mais en 1590, qu’il entra dans la Provence. Il ne fit point la médaille du Centaure après s’être rendu maître de Marseille, mais après l’invasion du marquisat de Saluces. Henri IV ne porta point la guerre en Italie, l’an 1600, et ne conquit rien dans le Piémont. L’auteur est peut-être plus judicieux dans les réflexions de politique, qu’exact à narrer les choses. Henri IV, dit-il [1], après la conquête de la Savoie et du Piémont, se laissa enfin fléchir aux prières du pape Clément VIII, qui cherchait à réconcilier le pauvre duc avec ce monarque ; quoique le sentiment de tous les politiques de son temps était que Henri IV devait garder la Savoie et le Piémont, pour châtier la témérité de ce prince imprudent, et se conserver par-là un passage libre pour entrer en Italie quand bon lui semblerait. C’était là le conseil du cardinal d’Ossat, un des plus grands politiques de son siècle : mais en cette occasion Henri IV fit paraître plus de générosité que de politique, et rendit tout à Charles-Emmanuel. Qu’aurait dit le cardinal d’Ossat de l’imprudence de Henri III se défaisant de Pignerol, puisqu’il blâme Henri IV de s’être défait de la Savoie, dans un temps où il était cent fois plus capable de résister à ses voisins, que ne l’avait jamais été son prédécesseur ? La France aurait été bien malheureuse, si elle n’avait pas eu Pignerol quand le duc de Savoie se ligua avec la maison d’Autriche, l’Angleterre et la Hollande, en 1690. Il a fallu qu’elle s’en soit dépouillée six ans après : ce n’est pas un petit mal.

(G) On ne vit en lui que l’humeur d’un misanthrope. ] « À son retour de Pologne il estoit presque inaccessible, sinon à trois ou à quatre, et vouloit manger en particulier, contre la coustume de nos rois : mais on ne le treuva bon, parquoy luy estant remonstré, comme forcé par la coustume de manger en public, il fit faire des grandes barrières autour de sa table qui sont encor à la sale du Louvre à Paris, et furent faicts ces vers qui furent affigez en certains endroicts du Louvre :

» Puisqu’Henry, roy des François,
» N’en ayme que quatre ou trois,
» Il faut que ces trois ou quatre
» Aillent ses ennemis combattre.


» Il ordonna que nul n’entreroit en sa chambre sans bonnet [2]. » Je m’imagine que le motif de cette ordonnance fut qu’il portait lui-même un certain petit bonnet comme d’un enfant qui avoit un borlet descoupé à taillades de travers, et sur iceluy une plume par devant avec quelque belle enseigne, et une grande perruque, et ne se defublait [3] jamais, non mesme à l’eglise, pource qu’il avoit la teste raze [4]. Il y avait bien de l’humeur dans tout cela. Au reste, ceci vous fera entendre les paroles que je m’en vais copier. Mesme son turban vous representoit assez son infidelité, estant tousjours coiffé à la turque, lequel jamais on ne luy a veu oster pour faire honneur à Jesus-Christ [5]. C’est ce que reproche à Henri III l’auteur du livre intitulé Le Martyre des deux frères.

(H) La mort du duc d’Alençon,

  1. Mémoires de M. D. F. L., etc., pag. 148, 149.
  2. Du Verdier, Prosopographie, tom. III, pag. 2558.
  3. C’est-à-dire, découvrait la tête.
  4. Du Verdier, Prosopographie, tom. III, pag. 2560.
  5. Martyre des deux frères, folio G ij verso.