Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T08.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
HENRI III.

quelque avantageuse qu’elle lui fût, lui était encore plus préjudiciable qu’utile. ] J’affecte non-seulement de ne rien dire sans preuve ; mais aussi d’alléguer partout où je le puis faire le témoignage des auteurs contemporains. On ne se trompera donc pas si l’on s’imagine que je me sers ici agréablement des paroles d’Étienne Pasquier [1]. « Encores avoit-il [2] une espine au pied, qui au milieu de cette paix [3] semblait arrester le cours de ses contentemens. Car combien qu’il ne fust en mauvais mesnage, par apparence, avec monsieur le duc, son frere, si estoit il un second roy, qui avoit sa cour et ses favoris à part, tantost en une ville de Tours, tantost és autres de son apanage ; lequel avoit ses opinions tant eslongnées de celles du roy, que jamais il ne voulut, que luy ny les siens fussent gratifiez de l’ordre du Saint-Esprit. D’ailleurs son apanage estoit si grand, qu’il absorboit une bonne partie de la France. Avoit sa chambre des comptes dedans Tours, son eschiquier à Alençon, qui jugeoit souverainement des causes du duché, tant civiles que crimineles. Et encores ce prince pourvoyoit aux eveschez et abbayes de son apanage ceux qu’il vouloit, pour estre nommez au pape par le roy, suivant le concordat. Toutes grandeurs aucunement conformes à celles du roy, qui luy pouvoient causer des jalouzies en l’ame, ores qu’il les dissimulast sagement. Advient en l’an 1585 que monsieur le duc décede, et par sa mort est reüny son apanage à la couronne. Ceux qui gouvernoient le roy en firent feus de joyes en leurs ames ; et luy mesmes manifesta assez, de combien il pensoit son estat estre creu, quand il escrivit de sa propre main des reglemens de sa grandeur : voulant que son chancelier, seant en son conseil, fust revestu d’une toque et robe longue de velours cramoisi, et ses conseillers d’estat de satin violet, ses huissiers et valets de chambre eussent pourpoints de velours, et au-dessus la grosse chaisne d’or pendue à leurs cols ; puis diverses advenues de chambres, avant qu’il peust estre gouverné. Un long ordre de seigneurs qui devoient marcher devant luy, allant à l’eglise. A la verité cette mort au premier œil ne luy promettoit qu’un long repos ; et neantmoins ce fut la consommation de son malheur et de toute la France. Car si monsieur le duc eust vescu, tous pretextes eussent defailli aux entrepreneurs de la ligue...... Soudain après son decez, en l’an 1584, les princes de la ligue ne doutèrent d’esclorre le mescontentement qu’ils couvoient revestu du manteau de la religion catholique, apostolique, romaine. » Notez que les intrigues d’amour avaient semé la discorde entre ces deux frères. Ils se rencontrerent à aimer mesmes beautez : l’un des cœurs voulut déloger l’autre, et ne pouvant souffrir des compagnons en amour, non plus qu’en l’autorité, ils changerent les affections de freres, en haines et depits implacables [4]. Je vous laisse à penser si cette double jalousie, l’une d’amour, l’autre d’ambition, entre deux frères [5], l’un roi, l’autre héritier présomptif de la couronne, et qui avaient tous deux l’esprit et le cœur assez mal tournés, n’était pas capable de les remplir d’une antipathie prodigieuse [6].

(I) Il éprouva... que la mort du duc de Guise... le plongeait dans... de mortelles inquiétudes. ] Pasquier sera encore ici le commentateur. Soudain que le sieur de Guise fut mort, dit-il [7], jamais roy ne se trouva si content que le nostre ; disant haut et clair à chacun, qu’il n’avoit plus de compagnon, ny consequemment de maistre. Et le lendemain jour de

  1. Pasquier, Lettres, liv. XIV, tom. II, pag. 140 et suiv.
  2. C’est à-dire, Henri III.
  3. Celle qui fut conclue, l’an 1577.
  4. Matthieu, cité par Marcel, Histoire de France, tom. IV, pag. 602.
  5. Voyez, tom. VI, pag. 25, dans la remarque (B) de l’article Drusille, ce qui a été dit touchant la haine fraternelle. Voyez aussi, même volume, la citation (29) de l’article Drusus, fils de Germanicus.
  6. Elle était si grande, qu’Henri III chargea un jour le roi de Navarre de tuer le duc d’Alençon. Voyez Péréfixe, dans l’Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 42. à l’ann. 1575.
  7. Pasquier, Lettres, liv. XIII, tom. II, pag. 61 et suiv.