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HENRI III.

tomberait sur lui seul, non pas sur les deux autres, qui par cette raison y consentaient plus aisément. » Si vous voulez voir les limitations de l’autorité royale à cet égard-là, lisez ce qui suit. « Par l’édit qui fut fait en l’an 1565, à Moulins, où étaient tous les princes et grands seigneurs assemblés, avec une infinité de présidens et conseillers des cours souveraines, il est porté par exprès, que toutes aliénations faites ou à faire du domaine seront nulles, sinon en deux cas, savoir est : pour apanage des puînés de nos rois, et pour vendition nécessaire à deniers comptans pour la nécessité de la guerre : et qu’en ces deux cas lettres patentes seront décernées et publiées ès cours de parlement : leur étant très-expressément défendu d’avoir aucun égard à telles lettres pour quelque autre cause et temps que ce soit, encore que ce ne fût que pour un an [1]. »

(N) Henri III, qui par rapport à ses favoris... n’aspirait point à l’indépendance, souhaitait passionnément d’amplifier le pouvoir royal. ] Voilà deux points : je prouve le premier par une remarque qui fut faite sur le grand crédit du duc d’Épernon, et sur la Fortune d’argent doré dont la ville de Rouen lui fit un présent [2]. Cette Fortune le tenait étroitement embrassé, et au dessous estoyent ces mots italiens : E per non lasciar ti. Devise prise sur la rencontre et équivoque de son nom ; pour monstrer que ceste grandeur ne pourroit estre jamais terrassée ; comme aussi est ce la verité, que le roy le favorizant desmesurément luy avoit autrefois protesté, qu’il le feroit si grand au milieu des siens, que luy-même n’auroit pas le moyen de le ravaller, quand bien il l’eust voulu ci-apres. C’est une chose que nous avons depuis apprise du seigneur d’Espernon par une lettre fort bien dictée qu’il escrivit, pendant sa disgrâce, au roy [3]. Ceux qui disent que les rois n’aiment personne, et qui regardent cela comme un grand défaut, se trompent en deux façons ; car la plupart des monarques sont sujets à des excès d’amitié qui causent plus de désordres qu’il n’en pourrait naître de leur cœur indifférent et insensible. Voyez ci-dessus la comparaison que Bodin a faite entre les dernières années du règne de François Ier. et le règne de Henri II. Voyez aussi la remarque (B) de cet article. Il serait peut-être à souhaiter que les rois fussent semblables au sage des stoïciens, sans amour, sans haine. Il est pour le moins bien sûr que l’âme trop bonne, trop tendre, trop bienfaisante, trop prodigue de notre Henri causa une infinité de maux. Passons au second point.

Les états du royaume, en 1576, avaient résolu de nommer douze députés qui assisteraient au conseil du roi, lorsqu’on y examinerait les cahiers que les trois ordres auraient présentés à sa majesté. Cette résolution fut désagréable à Henri III, parce qu’il craignit que ces députés des états ne l’empêchassent de disposer des affaires à l’avantage de sa puissance ; mais quand on lui eut fait sentir qu’il serait par-là beaucoup plus maître des choses, il fut bien aise que les états eussent pris de telles mesures, et il se fâcha de ce qu’ils se ravisèrent, et en voulut du mal à Bodin qui avait été la cause de ce changement [4]. Il est bon d’entendre M. de Thou. Cùm Bodinus tertium ordinem, si ulteriùs pergerent, intercessurum diceret, sacer ordo, ac mox nobilitas acquievit, ac commune suffragiorum votum fuit, ne ulli delegati, qui cum regiis consiliariiis de postulatis decernerent, ab ordinib. eligerentur, contrarium cum initio placuisset, eâque re non mediocriter Rex animo commotus esset, ut supra ostendimus ; posteà mutaverat, à Lugdunensi Archiepiscopo, ut putatur. inductus, qui principi POTENTIÆ SUÆ AMPLIFICANDÆ SUPRA MODUM CUPIDO, ex quo majestati regiæ decrementum metuebat, ex eo incrementum accessurum artificiosè per-

  1. Pasquier, Lettres, liv. VI, tom. I, pag. 341.
  2. Lorsqu’il fit son entrée à Rouen, comme gouverneur de Normandie.
  3. Pasquier, Lettres, liv. XIII, tom. II, pag. 72.
  4. Voyez, tom. III, pag. 414, la remarque (I) de l’article Bodin.