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HENRI III.

suaserat [1]. L’archevêque de Lyon se servit là d’un tour de souplesse.

(O) Je dirai quelque chose de ses dévotions. ] Je me servirai des paroles de du Verdier Vau-Privas : « ll faisoit des devotions extraordinaires, quelquefois allant à dix heures du soir aux Chartreux ouyr matines. Il institua la confrairie de penitens blancs, de l’Annuntiation nostre Dame aux Augustins à Paris, et alloit à la procession comme les autres, avec le sac et le fouët à sa ceincture..…... Il voulut que plusieurs autres compaignies fussent érigées, comme celle de Sainct Hierosme, appellée des penitens bleus, au college de Marmotier, celle du Crucifix des noirs au college Sainct Michel, celle des gris de Suinct François à Sainct Eloy. Il amena des feuillans qui sont certains reformez de l’ordre de Cisteaux, de l’abbaye de Feuillance pres de Tholose, lesquels il logea au faux-bourg Sainct Honoré, et y alloit souvent faire des exercices spirituels : il avoit faict un logis pres les Capucins où certains jours on alloit parcillement faire des exercices spirituels ; chascun estoit portier et avoit les autres charges à son tour, et il estoit appellé là dedans frere Henry, et si quelqu’un le demandoit il falloit demander frere Henry, comme s’il arrivoit quelque courrier ou quelque autre affaire pendant qu’il estoit en ce conclave. Il fit une autre confrairie de Hieronimitains à Vicennes et à Sainte Marie de Vie saine. Il fit bastir un grand et beau logis au marché aux Chevaux fantasque avec certaines petites celles, pour aller là passer quelques jours en moine [2]... Il portoit... un dizain d’ave maria à la ceincture [3]. » Cet auteur a raison de dire que toutes ces choses ont esté estimées des feinctes par plusieurs [4], car les écrivains de la ligue et d’autres aussi ont bien médit à ce sujet-là. Je me contenterai de rapporter un passage que je trouve dans un libelle des ligueux. Les cachots construits par cest hypocrite n’estoient que pour servir de couverture à ses lascivetez, meschancetez, ordures et sodomies : Jean d’Espernon en sçait bien quelque chose, lequel ne m’en peut dementir : les plus sages ont fort bien dit que ce n’estoit qu’un amuse-fol, et cages ordonnées pour y mettre d’autres oyseaux, qu’une simplicité religieuse qui a esté le vray moyen pour se sequestrer de tous les princes et gens de bien, qui n’estoyent (comme cest apparent hermite) touchez au cœur de l’esprit d’hypocrisie [5]. Du Verdier observe que les prédicateurs, et entre autres Maurice Poncet, criaient contre ces confréries et ces processions du roi. Celui qu’il nomme fut, ce me semble, le plus emporté de tous. Je rapporte ce que Pierre Matthieu en a dit, vous y verrez que l’on crut que tous ces actes de dévotion extérieure n’étaient que grimaces, sans aucun amendement intérieur. « Le dimanche vingt-sept de mars 1583, le roy fit emprisonner le religieux Poncet, qui preschoit le caresme à Nostre Dame, pour ce que trop librement il avoit presché le samedy precedent contre ceste nouvelle confrairie [6], l’appellant la confrairie des hypocrites et atheistes : Et qu’il ne soit vray (dit-il en ces propres mots) j’ay esté adverty de bon lieu que hier au soir, qui estoit le vendredy de leur procession, la broche tournoit pour le souper de ces gros pœnitens, et qu’apres avoir mangé le gras chappon, ils eurent pour collation de nuict le petit tendron qu’on leur tenoit tout prest. Ah ! malheureux hypocrites, vous vous mocquez donc de Dieu soubs le masque, et portez par contenance un fouet à vostre ceinture ? Ce n’est pas là de par Dieu où il le faudroit porter : c’est sur votre dos et sur vos espaules, et vous en estriller très-bien : il n’y a pas un de vous qui ne l’ait bien gaigné. Pour lesquelles parolles le roy, sans vouloir autrement parler à luy, disant que c’estoit un vieil fol, le fit conduire dans son coche par le chevalier du Guet en son abbaye de Saint-Pere

  1. Thuan., lib. LXIII, pag. 187.
  2. Du Verdier, Prosopographie, tom. III, pag. 2559.
  3. Là même, pag. 2560,
  4. Là même, p. 2559.
  5. Martyre des deux frères, folio 5, édition de 1589, in-8°.
  6. C’était celle des pénitens.