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HENRI IV.

plus grands capitaines de l’antiquité, ne fut-il point chaste ? Constat Annibalem....... pudicitiam tantam inter tot captivas habuisse, ut in Africâ natum quivis negaret [1]. Nous ne trouvons pas que Scipion l’Africain ait été d’un tempérament fort amoureux, et il donna un bel exemple de pudicité pendant son expédition d’Espagne. Les historiens [2] l’en louent extrêmement. Drusus, frère de l’empereur Tibère, et l’un des plus grands capitaines de l’antiquité, fut d’une extrême sagesse par rapport aux femmes [3]. La bravoure de l’empereur Aurélien fut incomparable et accompagnée de beaucoup de chasteté. On lui ferait tort si l’on faisait la moindre comparaison entre sa bravoure et celle de cet impudique Proculus qui s’érigea en tyran, et dont Flavius Vopiscus nous a conservé une lettre que je me garderai bien de traduire. Je ne la rapporte qu’en latin. Tacendum non est, quod et ipse gloriatur in quâdam suâ epistolâ, quam ipsam meliùs est ponere quàm de eâ plurimùm dicere. Proculus Metiano affini S. D. Centum ex Sarmatiâ virgines cepi. Ex his unâ nocte decem inivi : omnes tamen, quod in me erat, mulieres intra dies xv reddidi. Gloriatur (ut vides) rem ineptam, et satis libidinosam : atque inter fortes se haberi credit si criminum densitate coalescat. Hic tamen quùm etiam post honores militares se improbè et libidinosè, tamen fortiter ageret,.... in imperium vocitatus est [4]. Vous voyez là qu’on témoigne qu’il fut bon soldat ; mais, encore un coup, ce n’était pas une valeur qui approchât de celle d’Aurélien. Que dirons-nous d’Alexandre, dont le courage était extraordinaire ? On a donné à sa chasteté beaucoup plus d’éloges qu’il ne méritait ; mais néanmoins il faut convenir que de son tempérament il avait plus d’indifférence que d’inclination pour le beau sexe ; et cela suffit à réfuter ceux qui s’imaginent je ne sais quelle liaison machinale entre l’impudicité et la bravoure. J’ajoute aux exemples modernes que j’ai déjà rapportés [5]. celui d’un brave qui vivait au XVIe. siècle, et qui mérita le titre de chevalier sans peur et sans reproche. On entendra bien, à cette marque, que je veux parler de Bayard. L’amour ne le maîtrisa jamais, et il s’en montra le maître dans des occasions dangereuses. Voyez sa Vie. Quel catalogue n’aurais-je pas à donner, si j’entreprenais la liste de ceux qui ont ressemblé à Sardanapale, gens qui n’étaient braves qu’au lit, lâches et poltrons partout ailleurs. Caligula, Néron, Héliogabale, furent-ils guerriers ? Ne se plongèrent-ils pas avec des excès infâmes dans les débauches impudiques ? Domitien, inventeur d’un nouveau mot [6] pour ces mauvais exercices où il signalait ses forces a-t-il jamais passé pour un bon soldat, ou pour un bon capitaine ? Ceux que l’on nommait autrefois mignons de couchette se voulaient quelquefois mêler du métier des armes, afin de se tirer du mépris à quoi les soupçons de poltronnerie les exposaient auprès des braves ; mais ils s’en acquittaient si mal, qu’on pouvait leur appliquer avec beaucoup de raison ce que Jupiter répondit à Vénus, quand elle lui fit ses complaintes de la blessure qu’elle avait reçue en voulant secourir Énée dans un combat : Ne vous mêlez pas de guerre, ce n’est point votre partage, faites l’amour.

Οὔ τοι, τέκνον ἐμόν, δέδοται πολεμήϊα ἔργα·
Ἀλλὰ σύ γ᾽ ἱμερόεντα μετέρχεο ἔργα γάμοιο.

Non tibi. filia mea, commissa sunt bellica opera ;
Quin tu desiderabilia obi munera nuptiarum [7].


Hélène faisait à Paris une semblable exhortation, comme on l’a vu ci-dessus dans une remarque où je réfute M. de Mézerai [8]. Cet historien s’imagine que les dames aiment les bra-

  1. Justin., lib. XXXII, sub finem.
  2. Livius, lib. XXVI, sub finem. Valerius Maximus, lib. IV, cap. III, num. 1.
  3. Voyez, tom. II, pag. 147, la remarque (B) de l’article de la première Antonia.
  4. Flavius Vopiscus, in Proculo, pag. m. 735, tom. II.
  5. Dans la remarque précédente.
  6. Libidinis nimiæ assiduitatem concubitûs velut exercitationis genus clinopalen vocabat. Suetonius, in Domit., cap. XXII.
  7. Homerus, Iliad., lib. V, vs. 428.
  8. Remarque (O), citation (47) de l’article du troisième duc de Guise, tom. VII, pag. 393.