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HENRI IV.

ves parce qu’elles supposent qu’ils ne sont pas moins vigoureux dans les exercices de l’amour, que dans les combats. Il n’entre pas bien dans leurs motifs ; la gloire ou la vanité sont le grand ressort de leur prévention en faveur des braves. Montluc observe que les femmes aimeraient mieux être veuves, que de voir venir de l’armée leurs maris en bonne sauté, et chargés de honte et de déshonneur. Il est visible que l’impudicité n’a point de part à cela ; et, puisque c’est une nouvelle preuve contre Mézerai, je rapporte ici les paroles de Montluc. Il s’adresse aux gouverneurs d’une place, et leur montre le préjudice qu’ils se feront s’ils la gardent mal. Non seulement vostre maistre, continue-t-il [1], les princes et seigneurs vous verront de mauvais œil, mais les femmes et les enfans. Et veux encore passer plus outre, que vostre propre femme encores qu’elle face semblant de vous aymer, elle vous hayra et estimera moins dans son cœur. Car le naturel de toutes les femmes est tel, quelles hayssent mortellement les couards et les poltrons encore qu’ils soyent bien peignez. Et ayment les hardis et courageux, pour laids et difformes qu’ils soyent. Elles participent à vostre honte. Et quoy qu’elles soyent entre vos bras dedans le lict, faisant semblant d’estre bien aises de vostre retour, elles voudroyent que vous fussiez estez estouffé, ou qu’une canonade vous eust emporté. Car tout ainsi que nous pensons, que la plus grand’honte d’un homme est d’avoir une femme putain, les femmes aussi pensent que la plus grand’honte qu’elles ayent est d’avoir un mary couard. Ainsi vous voilà bien accommodé, monsieur le gouverneur qui aurez perdu vostre place, veu que dans vostre propre lict on vous maudira.

(D) Son incontinence prodigieuse. ] Je puis bien la nommer ainsi, après les contes que d’Aubigné en a publiés, et surtout après ces paroles d’un très-grave historien : « Si l’histoire faisait des apologies, elle pourrait le justifier de la plus grande partie de ces reproches, non pas toutefois de la manie qu’il avait pour le jeu.... Encore moins le pourrait-elle excuser de son abandonnement aux femmes, qui fut si public et si universel depuis sa jeunesse jusqu’au dernier de ses jours, qu’on ne saurait même lui donner le nom d’amour et de galanterie [2]. » M. de Péréfixe nous va dire quelque chose de bien étrange. Il serait à souhaiter pour l’honneur de sa mémoire, qu’il n’eût eu que le défaut du jeu. Mais cette fragilité continuelle qu’il avait pour les belles femmes en était un autre bien plus blâmable dans un prince chrétien, dans un homme de son âge, qui était marié, à qui Dieu avait fait tant de grâces, et qui voulait tant de grandes entreprises dans son esprit. Quelquefois il avait des désirs qui étaient passagers, et qui ne l’attachaient que pour une nuit ; mais quand il rencontrait des beautés qui le frappaient au cœur, il aimait jusqu’à la folie, et dans ces transports il ne paraissait rien moins que Henri-le-Grand. La fable dit qu’Hercule prit la quenouille et fila pour l’amour de la belle Omphale : Henri fit quelque chose de plus bas pour ses maîtresses. Il se travestit un jour en paysan, et chargea un fardeau de paille sur son cou, pour pouvoir aborder madame Gabrielle ; et l’on dit que la marquise de Verneuil l’a vu plus d’une fois à ses pieds essuyer ses dédains et ses injures [3]. Ce devait être un cruel chagrin aux bons huguenots de voir que leur chef menait une vie si scandaleuse jusqu’au milieu de la Rochelle. Il y débaucha la fille d’un officier de robe longue, et en eut un fils. L’église lui avait souvent remontré sa faute, qu’il confessait assez ingénument ; mais il ne se laissa persuader à la reconnaître publiquement qu’un peu avant la bataille de Coutras [4]. Vous trouverez les circonstances de cela dans la Vie de M. du Plessis Mornai [5].

(E) Il hérita de la couronne dans un degré de parenté fort éloigné. ] « Ce fut sans doute un rare bonheur que la couronne de France lui

  1. Montluc, Comment., lib. III, pag. m. 500, 501.
  2. Mézerai, Abrégé chronol., tom. VI, pag. 392.
  3. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 461, 462, à l’ann. 1609.
  4. Vie de du Plessis Mornai, pag. 108.
  5. Là même.