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HENRI IV.

eusse fait de long-temps avec les meilleures épées de mon royaume [1]. Il y a en effet beaucoup d’apparence qu’il ne se promettait rien d’avantageux de la continuation de la guerre ; et je suis sûr que les personnes les plus désintéressées et les plus capables de juger de cette espèce de choses furent aussi convaincues de la faiblesse d’esprit que Philippe II fit voir en cette rencontre, que de la prudence qu’Henri IV témoigna en acceptant une telle paix. Les Espagnols eurent honte de la faiblesse de leur roi. Le prince son fils souhaita passionnément qu’une guerre si heureuse fût continuée, et il accabla de sa disgrâce don Christophle de Mora, qui avait représenté dans un conseil, les raisons les plus capables de faire songer à la paix [2]. Le roi d’Espagne ne s’ébranla point ; désirant avoir la paix à quelque prix que ce fust, il ne trouva condition aucune an traicté de Vervins qui le dissuadast de l’approuver, encores que son conseil jugeast la restitution des villes prinses avec tant d’heur, et si difficiles à reprendre, honteuse et prejudiciable. Il pressa qu’elle fust jurée et exécutée [3], Il y a beaucoup d’apparence qu’il eût eu des sentimens fort opposés à ceux-là, s’il eût été dans la vigueur de son âge. Mais que voulez-vous ? c’est un des défauts de la vieillesse d’inspirer la timidité.

Multa senem circumveniunt incommoda : vel quòd
Quærit, et inventis miser abstinet, ac timet uti :
Vel quòd res omnes timidè gelidèque ministrat [4].


J’ai dit ailleurs que les républiques ont un avantage que les royaumes n’ont pas : le souverain, dans les républiques, n’est jamais trop jeune, ni jamais trop vieux : il n’est sujet ni aux infirmités de l’enfance, ni à celles de la vieillesse. Les royaumes n’ont pas ce bonheur : ils éprouvent tantôt les désordres d’une minorité, tantôt la fougue de l’âge bouillant, tantôt la lenteur et la pesanteur du déclin de l’âge. Un roi se trouve contraint de gémir plus d’une fois de ce que le nombre des années lui ôte l’activité et la fermeté qu’il avait eues, et qu’un jeune prince son ennemi possède.

.....Non laudis amor, nec gloria cessit
Pulsa metu : sed enim gelidus tardante senectâ
Sanguis hebet, frigentque effœtæ in corpore vires.
Si mihi quæ quondam fuerat, quâque improbus iste
Exsultat fidens, si nunc foret illa juventa [5].

Au reste, il ne faut pas s’étonner de ce que l’on critiqua la paix de Vervins, et de ce que les uns censurèrent la France, d’autres l’Espagne, d’autres l’Espagne et la France tout à la fois. C’est le destin de ces grandes négociations ; ça été le sort du traité de paix conclu à Ryswick, l’an 1697. Bien des gens ont blâmé les alliés de n’avoir pas exigé des conditions encore plus avantageuses, d’autres ont blâmé la France d’avoir cédé tant de pays. Les Français en ont murmuré ; les Parisiens ne voulaient point faire de feux de joie ; il fallut les y contraindre par des menaces itératives. Ils eussent voulu que la nation ne rentrât point dans l’état des siècles passés, où l’on pouvait dire justement qu’elle savait mieux faire la guerre que la paix, et qu’elle entendait aussi bien l’art de rendre que celui de prendre. Ils eussent voulu que les discours populaires des Flamands ne se fussent pas trouvés véritables. Ils savaient qu’une infinité d’ignorans avaient dit qu’il ne fallait pas s’alarmer de la perte de quelques villes, et qu’il fallait même s’en réjouir, puisqu’on les recouvrerait fortifiées à la Vauban. Les écoliers exprimaient cela d’une autre manière ; nous les perdons de brique, elles seront restituées de marbre [6].

(Q) Quantité de prêtres s’opiniâtrèrent à ne point prier Dieu pour lui. ] Le procureur général du roi au parlement de Toulouse, ayant été averti qu’un fort grand nombre de prêtres, en disant la messe, omettaient la prière pour le roi [7], et qu’elle

  1. Je crois que ceci se trouve dans la Vie du duc d’Épernon, composée par Girard.
  2. Matthieu, Histoire de la Paix, narrat. I, pag. 13.
  3. Là même, narrat. III, pag. 68.
  4. Horat., de Arte poëticâ, vs. 169.
  5. Virgil., Æneïd., lib. V, vs. 394.
  6. C’est une allusion à une pensée de l’empereur Auguste, touchant l’état où il avait mis la ville de Rome.
  7. In Missæ canone passim à sacerdotibus per cunctas diœceses celebrantibus orationem pro rege omitti. Thuan., lib. CXXXVI, pag. 1123.