Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T08.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
HENRI IV.

avait été supprimée dans plusieurs missels imprimés [1], en porta sa plainte au parlement. La compagnie ordonna que tous les prêtres seraient obligés à observer l’ancienne coutume de cette prière dans la célébration des divins offices, défendit de se servir des missels où cette prière ne se trouvait pas, ordonna aux imprimeurs et aux libraires d’y faire ajouter incessamment la feuille qui y manquait, et en cas de contravention les menaça d’une peine corporelle, et de la confiscation des exemplaires. Cet arrêt fut rendu le 5 de juin 1606 [2]. Si douze ans après que le roi eut abjuré le huguenotisme, et eut donné bien des marques de son attachement au papisme, et beaucoup de témoignages de sa bonté pour les ligueux, il y avait tant d’ecclésiastiques qui le haïssaient mortellement, qu’eût-il pu attendre d’une conduite opposée ? La fureur des bigots et des entêtés eût été infiniment plus terrible, s’il se fût négligé dans l’extérieur de la religion, et s’il eût agi en prince rempli de ressentiment. L’un de ses historiens [3] nous donne pour une action d’une politique admirable ce que je m’en vais copier : Dès le soir même [4], il joua aux cartes avec la duchesse de Montpensier, qui était de la maison de Guise, et la plus forte ligueuse qu’il y eût dans le parti [5]. Infailliblement cela déplaisait à ses anciens serviteurs. Il se serait moins pressé de faire un honneur semblable à une dame huguenote : c’est renchérir sur la parabole de l’évangile, dirent-ils peut-être. Cette duchesse n’a point travaillé encore dans votre vigne, et elle avait fait pour la ruiner tous les efforts imaginables ; et néanmoins elle est mieux payée que nous qui avons porté le faix du jour et le hâle [6]. On s’était contenté dans la parabole d’égaler à la récompense de ceux qui avaient travaillé toute la journée, la récompense de ceux qui n’avaient travaillé qu’une heure, et qui n’avaient fait aucun dommage avant ce temps-là. Il y eut sans doute bien des murmures de cette espèce, et l’on n’y eût pas satisfait par cette réponse du père de famille : Votre œil est-il malin, parce que je suis bon [7] ? Cela n’eût fait qu’irriter la plaie : Henri IV eût mieux aimé opposer à ces reproches la nécessité des temps [8],

Res dura et regni novitas me talia cogunt
Moliri ............ [9].

M. du Plessis Mornai, dans une lettre qu’il écrivit à Morlas l’an 1594, pendant que ceux qui avaient suivi la ligue s’en détachaient sous des conditions avantageuses, se servit de ces paroles notables : « Nous n’envions point aussi, que vous tuiés le veau gras pour l’enfant prodigue : mais pourveu aussi, que vous disiés de bon cœur à l’enfant obéïssant : Tu sçais, mon enfant , que tous mes biens sont tiens ; au moins que vous n’immoliés pas l’obéïssant pour faire meilleure chère au prodigue. Bref tout ce qui se fait nous resjouït, pourveu qu’il soit utile ; mais nous craignons ces marchés, esquels on lasche les choses et n’acquiert on que des paroles ; et paroles de personnes pour la plus part, qui jusques ici n’ont point eu de parole [10]. »

(R) M. de Sully s’en plaint, et... soutient... qu’il n’est pas vrai qu’il se laissât extorquer par ses maîtresses tout ce qu’elles souhaitaient. ] Il parle de certains historiographes qui avaient distribué injustement les louanges et les censures. Ils n’avaient trouvé aucune tache dans ceux dont ils étaient mercenaires, et presque rien de bon dans Henri-le-Grand, qui ne leur avoit rien donné. Et d’autant, dit-il [11], qu’ils ne luy peuvent pas desnier quelques louanges d’entre une infinité qui sont toutes publiques dans les ressentimens et voix de tous

  1. À Paris, à Bordeaux et à Lyon.
  2. Tiré de M. de Thou, lib. CXXXVI, pag. 1123, 1124.
  3. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. 225.
  4. C’est-à-dire, du jour qu’il fit son entrée à Paris.
  5. Voyez, ci-dessus, la remarque (D) de l’article Henri III.
  6. Évangile de saint Matthieu, chap. XX, vs. 12.
  7. Là même, vs. 15.
  8. Conférez avec ceci la remarque (AA) de l’article Charles-Quint, tom. V, pag. 80.
  9. Virgil., Æneid., lib. I, vs. 563.
  10. Mémoires de du Plessis Mornai, tom. II, pag. 398, 399.
  11. Voyez les Mémoires de Sully, à l’épître liminaire du IIIe. tome, folio m. c. ij.