Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T08.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
69
HENRI IV.

ses et courses de bague, où (disent-ils pour me blasmer) l’on me voit encore comparoistre avec ma barbe grise, aussi resjouy et prenant autant de vanité d’avoir fait une belle course, donné deux ou trois dedans (et cela, disent-ils en riant) et gagné une bague de quelque belle dame, que je pouvois faire en ma jeunesse, ny que faisoit le plus vain homme de ma cour. En tous lesquels discours je ne nieray pas qu’il n’y puisse avoir quelque chose de vrai ; mais aussi diray-je que ne passant pas mesure, il me devroit plustost estre dit en louange qu’en blasme, et en tout cas me devroit-on excuser la licence en tels divertissemens qui n’apportent nul dommage et incommodité à mes peuples, par forme de compensation de tant d’amertumes que j’ay goustées, et de tant d’ennuis, déplaisirs, fatigues, perils et dangers par lesquels j’ay passé depuis mon enfance jusques à cinquante ans..... L’Écriture n’ordonne pas absolument de n’avoir point de péchez ny défauts, d’autant que telles infirmitez sont attachées à l’impetuosité et promptitude de la nature humaine ; mais bien de n’en estre pas dominez, ny les laisser regner sur vos volontez : qui est ce à quoy je me suis estudié, ne pouvant faire mieux. Et vous sçavez par beaucoup de choses qui se sont passées touchant mes maistresses (qui ont esté les passions que tout le monde a creu les plus puissantes sur moy) si je n’ay pas souvent maintenu vos opinions contre leurs fantaisies, jusques à leur avoir dit, lorsqu’elles faisoient les accariastres, que j’aymerois mieux avoir perdu dix maistresses comme elles, qu’un serviteur comme vous, qui m’estiez nécessaire pour les choses honorables et utiles [1]. »

(S) Il y eut des occasions où il eut la force de se démêler des piéges qu’on lui tendait par de belles filles. ] Catherine de Médicis lui demandant à la conférence de Saint-Brix [2], qu’est-ce qu’il voulait ? Il lui répondit, en regardant les filles qu’elle avait amenées : Il n’y a rien là que je veuille, madame ; comme lui voulant dire par-là, qu’il ne se laisserait plus piper à de semblables appas. Il n’avait pas été si sage dans d’autres rencontres ; car quelque temps après le massacre de la Saint-Barthélemy [3], « il se laissa prendre aux appas de certaines damoiselles de la cour dont on dit que cette reine se servoit exprès pour amuser les princes et les seigneurs, et pour découvrir toutes leurs pensées (81). » Que voilà une reine abominable ! Chacun sait le nom qu’on donne à une telle conduite. Quelle école, bon Dieu, pour de jeunes demoiselles de qualité, que l’on appelait filles d’honneur ! Et notez que si cette reine avait souhaité d’en entretenir deux ou trois cents, on les lui aurait fournies, tant était grande la corruption de ce temps-là ; car on savait bien à quel usage elle employait ses filles d’honneur.

(T) Villeroi lui avait dit une chose assez capable de déplaire. ] Où sont les gens qui ignorent que c’est un avis fort rude, et qui pique jusqu’au vif, que de représenter à quelqu’un qu’il ne sait pas bien tenir son rang, et qu’il oublie la dignité de son caractère ? C’est ce que Villeroi représenta à Henri-le-Grand. Naudé l’en loue. Un des meilleurs avis, dit-il [4], que donna jamais Villeroi à Henri-le-Grand, qui avait vécu en soldat et carabin pendant les guerres qui se firent à son avénement à la couronne, fut lorsqu’il lui dit, qu’un prince qui n’était pas jaloux des respects de sa majesté, en permettait l’offense et le mépris : que les rois ses prédécesseurs dans les plus grandes confusions, avaient toujours fait les rois ; qu’il était temps qu’il parlât, écrivit et commandât en roi.

(U) Nous verrons le jugement qu’il porte de l’artifice dont un roi de France s’était servi. ] Il était « grand observateur des choses qui touchent à la conservation de la reputation des princes, en quoy il aymoit mieux relascher de ses

  1. Mémoires de Sully, tom. III, pag. 137, 138.
  2. Château proche de Cognac.
  3. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. 80, à l’ann. 1586.
  4. Naudé, Coups d’état, chap. I, p. m. 22.