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HENRI IV.

des peuples, ils en oublient malicieusement les plus necessaires à sçavoir, desguisent les autres, et en fin les ayans toutes extenuées le plus qu’il leur a esté possible, ils ont usé d’une autre malice toute remplie d’impostures, qui a esté de luy supposer impudemment et faussement des desirs, projets, desseins, entreprises et resolutions (lors qu’il est question des affaires d’estat) toutes les plus absurdes, ineptes, impertinentes et ridicules qui se puissent dire. Et sur cela faisant les entendus, ils parlent tout ainsi que s’ils avoient esté les plus confidens du roy, et qu’ils eussent eu communication de toutes ses cogitations et pensees plus secretes, ou eu intelligence avec quelqu’un de ses plus familiers serviteurs pour la paix et pour la guerre qui les leur eussent dites. Puis venans à parler de sa conversation civile, forme de vie domestique, de sa conduite en icelle et sur tout de ses recreations, divertissemens, douceurs de cette vie, ebats, plaisirs, passe-temps et rejouissances, quoyqu’elles eussent quasi tousjours esté des plus ordinaires, communes et familieres à tous hommes, voire mesme aux femmes, mais tousjours des plus générales, universelles, tolerées, loisibles, et permises à tous roys, potentats, princes, grands seigneurs, s’en estans trouvé peu, jusques aux plus sages, vertueux, debonnaires, pieux, et saints, qui ne s’y soient delectez, et lesquels leurs peuples et sujets n’ayent patientez gayement, quand pour tels plaisirs et passe-temps il ne s’est point commis d’injustice, de rapt, de meurtre, violence, concussion ny saccagement, Et néantmoins quand ils se mettent sur les discours des gaillardises et joyeusetez de ce tant doux et debonnaire prince, ils les exagerent tellement, et les invectivent de sorte par de si mensongeres et fallacieuses circonstances, par tant de dommageables et pernicieuses conséquences, les flestrissent de tant de passions, perturbations vicieuses, honteuses, infames, voir execrables et scandaleuses, qu’il semble à les en ouïr parler avec tant d’audace, impudence, effronterie et temerité, qu’ils ayent esté les scrutateurs des cœurs et des pensées..... ou qu’ils eussent esté ses pères confesseurs et grands penitenciers........ et surtout ont-ils esté tant temeraires que de nommer au rang de ses maistresses une de laquelle les qualitez, l’eminence, les vertus, et la sagesse l’avoient tousjours adverti, quand bien il y eust pensé, de ne la tenir pas pour telle ; et partant meriteroient grande punition ces imposteurs d’escrivains d’en avoir ainsi parlé. Et disent en d’autres lieux que les femmes avoient pris un tel empire sur luy, à cause que le vice luy estoit naturel et tourné en habitude par long usage, grande accoustumance avec des gens pervers, et s’estoit rendu tant esperduement amoureux de quelques-unes de ces beautez, qu’il n’avoit plus d’autres volontez que les leurs, et que cette tache estoit cause que toutes les affaires les plus importantes estoient expediées par leur entremise, et qu’elles n’estoient esconduites d’aucunes choses qu’elles pussent desirer. Et ajoutent si frequemment tant d’autres inepties et fadeses, que toutes ces impostures temeraires estans trop longues à refuter par ce present discours (fait à autre intention) nous renvoyerons ceux qui voudront voir leurs calomnies au jour, à tous les propos qui en sont tenus dans le cours de ces Mémoires, par lesquels il se connoistra comment, et pour quelles raisons le roy ne se fust jamais résolu d’espouser une femme de joie : qu’elles ne disposoient d’aucunes affaires, et qu’il avoit des serviteurs, lesquels par son commandement leur sçavoient bien dire leurs veritez, mesme en sa presence, et les conduire et refuser des choses qu’ils jugeoient injustes ou dommageables à l’estat, aux affaires et revenus du roy, ou à son peuple, et falloit qu’elles passassent par-là. Confirmons ceci par des paroles tirées d’une lettre de Henri IV. On y verra les médisances que l’on répandait contre lui. « Les uns me blasment d’aimer trop les bastimens et les riches ouvrages ; les autres la chasse, les chiens et les oyseaux ; les autres les cartes, les dez et autres sortes de jeux ; les autres les dames, les delices et l’amour ; les autres les festins, banquets, sopiquets et friandises ; les autres les assemblées, comédies, bals, dan-