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LIPSE.

miracula fide atque ordine descripta[1]. Un autre intitulé, Justi Lipsii Diva Sichemiensis sive aspricollis : nova ejus beneficia et admiranda[2]. Il y adopte les plus petits contes et les traditions les plus incertaines qui se puissent ramasser sur ce sujet. Quelques-uns de ses amis l’avaient voulu détourner de ce travail, et lui avaient allégué l’incertitude de ces traditions, et le tort qu’il se ferait ; mais leurs conseils ne le purent détourner de son entreprise. At mali aut morosi quidam et pravè sapientes non occultè deterrent aut improbant, tanquàm à narrationibus parùm certis, ut aiunt, et opinione sæpe nixis. Non debere talibus obsolefieri auctoritatem nostram si quam habemus, dissentio[3]. Les vers qu’il lit, lorsqu’il consacra à Notre-Dame de Hall une plume d’argent, sont tout-à-fait singuliers, tant à cause des éloges qu’il s’y donne, qu’à cause des hommages excessifs qu’il y rend à la Sainte Vierge. Ipse pennam argenteam (nec potuit pretiosius quidpiàm) in templo antè aram Virginis suspendit, et pios hosce versus subscripsit :

Hanc, Diva, Pennam interpretem mentis meæ,
Per alta spatia quæ volavit ætheris,
Per ima quæ volavit et terræ, et maris :
Scientiæ, Prudentiæ, Sapientiæ
Operata semper, ausa quæ Constantiam
Describere, et vulgare ; quæ Civilia,
Quæ Militaria atque Poliorcetica :
Quæ Roma, Magnitudinem adstruxit tuam :
Variaque luce scripta prisci sæculi
Affecit, et perfudit : hanc Pennam tibi
Nunc, Diva, meritò consecravi Lipsius.
Nam numine istæc inchoata sunt tuo.
Et numine istæc absoluta sunt tuo.
Porrò ô benignitatis aura perpetim
Hæc spiret ! et famæ fugacis in vicem,
Quam Penna peperit, tu perenne gaudium
Vitamque, Diva, Lipsio pares tuo[4].


Il légua, par son testament, sa robe fourrée à la même Notre-Dame, ce qui fit dire qu’il en usait de la sorte, parce que les miracles qu’il avait tant célébrés mouraient de froid[5]. Quelques protestans écrivirent contre lui d’une grande force : il les laissa dire, et ne répondit qu’en très-peu de mots à l‘un d’eux : voyez sa Rejectiuncula à la fin de la Virgo Aspricollis. On souhaitait qu’il se défendît contre l’auteur du Traité de Idolo Hallensi[6], et contre Thomson[7] qui le réfuta entre autres matières sur la Virgo Sichemiensis ; mais il refusa de s’engager dans ces disputes[8], et fit sagement. Voyez dans la remarque (E) ce que Baudius disait des livres de dévotion de ce critique. Voyez aussi la remarque (N).

Il ne faut pas oublier que l’on a dit que Juste Lipse ne composa de tels ouvrages qu’afin de persuader qu’il n’était point tiède et indifférent sur le chapitre de la religion, comme il s’en voyait soupçonné[9]. On a cru aussi que c’étaient de purs ouvrages de commande, et que les jésuites les lui extorquaient. Κέρκωπες Lojolitæ precibus, quæ vim imperii apud Lipsium habent, hanc operam ab eo vel extorserunt, vel eblanditi sunt ; vel utrumque. Nam ut ipsi hominem totum possident, ita ipse illis εὐσχημόνως nihil negare potest[10]. En ce cas il peut être comparé aux pleureuses à louage, qui criaient plus que les parens du défunt. Le poëte Lucilius nous l’apprend :

............ Mercede quæ
Conductæ flent alieno in funere præficæ,
Multo et capillos scindunt, et clamant magis.

Horace n’en dit guère moins :

Ut qui conducti plorant in funere, dicunt
Et faciunt propè plura dolentibus ex animo : sic
Derisor vero plus laudatore movetur[11].

(C) On l’embarrassa étrangement lorsqu’on lui fit voir les conséquences de son dogme de la persécution. ] Voici ce qu’on trouve là-dessus dans le

  1. Il le composa l’an 1603.
  2. Il le composa l’an 1604.
  3. Lipsius, epist. LIX, centur. V miscellan.
  4. Aubert, Miræus, in Vitâ Lipsii, p. m. 23.
  5. Cui Virgini Hallensi moriens lacernam suam pelliceam testamento legavit : in quo, non potuit, quin facetorum hominum urbanitatem incurreret, qui quidem ridiculè, sed non admodùm religiosè, ideò lacernam pelliceam Virgini illi relictam ajebant, quòd ejus miracula, quæ tantoperè in cœlum laudibus efferebat, frigerent ad populum. Nicius Erythræus, pinacoth. III, pag. 6.
  6. M. Teissier, Elog., tom. II, pag. 383, le nomme Lingelmius : il fallait dire Lingelshemius, qui n’est pourtant point l’auteur. Voyez l’article Lingelsheim, dans ce volume, p. 254, remarque (A).
  7. M. Teissier, là même, le nomme Thomason.
  8. Miræus, in Vitâ Lipsii, pag. 24, 25.
  9. Voyez Crenius, animadv. Philolog. et Histor., part. VII, pag. 55, qui n’oublie pas le passage de Scaliger dont on voit une partie dans la citation suivante. Voyez aussi la XXVIIe. lettre de Patin.
  10. Scalig., epist. CVI, lib. II.
  11. Horat., de Arte poët., vs. 431.