Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T09.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
LIPSE.

Commentaire Philosophique sur contrains-les d’entrer[1]. « J’ai vu un autre embarras qui a du rapport à ces matières dans un traité de Juste Lipse. Cet homme ayant été ruiné par les guerres du Pays-Bas trouva une retraite fort honorable à Leyde où on le fit professeur, et il ne fit point scrupule d’abjurer extérieurement son papisme. Pendant ce temps-là il fit imprimer quelques livres de politique, où il avança entre autres maximes qu’il ne faut souffrir qu’une religion dans un état, ni user d’aucune clémence envers ceux qui troublent la religion, mais les poursuivre par le fer et le feu, afin qu’un membre périsse plutôt que tout le corps. Clementiæ non hîc locus. Ure, seca, ut membrorum potiùs aliquod, quàm totum corpus intereat[* 1]. Cela était fort malhonnête à lui, entretenu comme il était par une république protestante qui venait de réformer la religion ; car c’était approuver hautement toutes les rigueurs de Philippe II et du duc d’Albe. Et c’était d’ailleurs une imprudence terrible et une exécrable impiété, puisque d’une part on pouvait conclure de son livre qu’il ne fallait souffrir en Hollande que la religion reformée, et de l’autre, que les païens ont fort bien fait de faire pendre les prédicateurs de l‘Évangile. Il fut entrepris sur cela par le nommé Théodore Koornhert[2], et poussé dans l’embarras ; car il fut obligé de répondre en louvoyant, et en déclarant que ces deux mots Ure, seca, n’étaient qu’une phrase empruntée de la médecine, pour signifier, non pas littéralement le feu et le fer, mais un remède un peu fort. C’est dans son Traité de unâ Religione, que l’on voit toutes ces tergiversations. C’est bien le plus méchant livre qu’il ait jamais fait, excepté les impertinentes histoires et les fades poésies qu’il fit, sur ses vieux jours, sur quelques chapelles de la Vierge, son esprit commençant à baisser comme celui de Périclès, lorsqu’il se laissa entourer le cou et les bras d’amulettes et de remèdes de femme ; et étant tout infatué des jésuites, entre les bras desquels il se jeta lorsqu’il vit que le petit méchant livre en question serait regardé de travers en Hollande : cela fit qu’il s’évada furtivement de Leyde. Pour revenir au petit livre, c’est une méchante rapsodie de passages qui autorisent toutes les impiétés païennes sur quoi on fondait la persécution horrible des premiers chrétiens, et d’autres passages qui disent tout le contraire. Et comme l’auteur n’osait avouer la force de ces mots Ure, seca, il se servit de méchantes distinctions qui revenaient à ceci, qu’il ne fallait faire mourir les hérétiques que rarement et secrètement, mais que pour les amendes, les exils et les notes d’infamie, les dégradations, il ne fallait pas les leur épargner. Tout cela tombe par terre par les réflexions ci-dessus. » Nous rapporterons plus amplement dans l’addition à cette remarque (C) ce qui concerne la dispute de Koornhert et de Juste Lipse.

Koornhert n’est pas le seul qui l’ait maltraité sur cette matière ; car le jésuite Pétra Sancta ayant fait des plaintes contre l’auteur des Stricturæ [3] Politicæ[4], voici ce qui lui fut répondu[5] : Conquereris de autore notarum sive stricturarum in proditoriam Justii Lipsii Epistolam, qui quùm in Belgio fœderato vixisset, et illustrissimorum ordinum stipendiarius fuisset, postquàm insalutatis hospitibus benè meritis abiisset, stylum in eos convertit, et adversùs rempublicam eorum, consilia subministravit. Quis fuerit autor stricturarum illarum, seu notarum fateor me

  1. (*) Civil. Doctr., l. 4, c. 3.
  1. Comment., Philos., IIe. part., p. 285 et suiv.
  2. Voyez la remarque (C) de l’article Koornhert, tom, VIII, pag. 584.
  3. Voyez, touchant ces Stricturæ, la remarque (E) de l’article Putéanus, tom. XII.
  4. Prodiit etiam recentissimè dum hæc scribo, calumnia eadem de societate nostrâ in libello quem auctor inscribit, Stricturas politicas, et in quo imprimis acerbissimè invehitur in Justum Lipsium. Petra Sancta, Not. in epistol. Molinæi ad Balzacum, pag. 96. Le livre de Petra Sancta fut imprimé l’an 1634.
  5. Rivet., Castigat. Notarum in epist. ad Balzacum, cap. XII, num. 14. Operum, tom. III, pag. 535.