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MACÉDOINE.

les Juifs. Les demandeurs citèrent quelques passages de l’Écriture, et de la première réponse du rabbin, tirée pareillement de l’Écriture, ils ne surent plus que dire, et se retirèrent de honte. Jamais cause ne fut gagnée plus facilement. Je n’entends rien à la réponse que Gibéa fit aux Égyptiens : on dirait qu’il se servit de ce principe, que les Juifs avaient tant travaillé pour les Égyptiens, que leur emprunt n’égalait pas le moindre salaire qu’on puisse donner à un ouvrier. Tertullien a dit quelque part [1] que les juifs prétendent qu’il y eut des conférences entre les envoyés des Égyptiens et les leurs, et que les Égyptiens renoncèrent à leur vaisselle, quand ils entendirent les prétentions que les Juifs fondaient sur leurs grands travaux d’Égypte. Il semble approuver qu’en vertu de cette raison ils aient gardé la vaisselle qui leur avait été prêtée ; mais il est certain que ce serait introduire la mauvaise morale des casuistes modernes, que de se fonder sur un tel droit : comment pourrait-on par ce principe blâmer un valet qui vole son maître jusques à la concurrence de ses gages ? Il est même vrai que la cause de ce valet serait meilleure que celle des Israélites, puisqu’ils emportèrent le bien de ceux pour qui ils n’avaient point travaillé : leur travail était pour le prince, et ils prenaient leur salaire sur le bien des particuliers. C’est comme si aujourd’hui les protestans, à qui la persécution a ôté leurs biens en France, se dédommageaient sur leurs concitoyens catholiques en se retirant dans les pays étrangers. Il ne faut donc justifier la conduite des Israélites que par l’ordre exprès de Dieu, qui, étant le maître souverain de toutes choses, en peut transporter la propriété d’une personne à une autre comme il lui plaît. Il n’est pas nécessaire que je dise que ces procès intentés aux Juifs devant Alexandre sont des chimères ; il suffit de dire que ce conte est rapporté un peu autrement dans le Béreschith Rabba [2], que dans la Gemara Babylonica [3]. Je me garderai bien de mettre au nombre des fables le voyage d’Alexandre à Jérusalem : la narration que Josephe en a laissée [4] pourrait bien être fabuleuse quant à certains points. Dira qui voudra qu’elle l’est en tout et partout : le silence des auteurs païens qui ont parlé de tant d’autres choses moins considérables concernant ce prince, arrivées dans des pays aussi obscurs pour le moins que la Judée, sera une raison forte pour qui voudra, mais non pas pour moi.

(P) Quelques-uns disent que les Romains lui envoyèrent des ambassadeurs. ] On en doute, quoique Clitarque l’ait assuré ; car ce Clitarque ne passe point pour un écrivain fidèle [5]. Il fut de la suite d’Alexandre, et il pouvait par-là être bien instruit des choses ; mais cela ne sert de rien quand on se plaît à mentir. Un auteur moderne [6] rapporte que cette ambassade des Romains est mise au nombre des fables, à cause que ni les historiens de Rome, ni Ptolomée et Aristobule n’en ont point parlé. Romanos Alexandrum M. legatione veneratos esse contra Memnonem c. 24, Plinium lib. III, c. 5, negant cum Arriano, lib. VII, quòd de eâ re sileant non solùm scriptores romani omnes, sed et Ptolomæus et Aristobulus historici, uterque Alexandri socius, alter etiam dux et posteà rex Ægypti. Je ne trouve point au chapitre XXIV des Extraits que Photius donne de Memnon, qu’Alexandre ait reçu aucune ambassade de Rome. Pline ne le dit point non plus ; il dit seulement que Clitarque en avait parlé.

(Q) Tite-Live est tombé en contradiction quand il a parlé de ce prince. ] Il examine avec soin ce qui eût pu arriver si Alexandre eût porté la guerre dans l’Italie, après avoir subjugué l’Asie, et il dit que les Romains avaient choisi Papyrius Cursor, pour l’opposer en ce cas-là à ce conqué-

  1. Adversus Marcionem, tom. II, cap. XX, apud eumdem.
  2. Parasch. LXI, folio 68, col. 21, apud autorem Polygam. triumph., pag. 283.
  3. Ad Titul. Sanhedr., cap. XI, folio 91, apud eumdem autorem, pag. 287.
  4. Joseph., Antiquitat., lib. XI, c. VIII.
  5. Clitarchi probatur ingenium, fides infamatur. Quintil., lib. X, cap. I.
  6. Johannes Eisenhart de Fide historicâ, p. 130, ex Ruperto in Histor. univ. Obs. ad Synopsim min. Besuldi, cap. XVIII, pag. 678.