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MACHIAVEL.

rapport au gouvernement. Il faut par une malheureuse et funeste nécessité que la politique s’élève au-dessus de la morale ; elle ne l’avoue point, mais elle fait pourtant comme Achille, jura negat sibi nata. Un grand philosophe de ce siècle ne saurait souffrir qu’on dise qu’il a été nécessaire que l’homme péchât, je crois néanmoins qu’il avoue qu’à l’égard des souverains le péché est désormais une chose nécessaire, sans que pour cela ils soient excusables ; car outre qu’il y en a peu qui se contentent du nécessaire, ils ne seraient point dans cette fâcheuse nécessité, s’ils étaient tous gens de bien. » On peut ajouter à cela ce que dit un ancien poëte, que par le seul exercice de la royauté les plus innocens apprendraient le crime sans l’aide d’aucun précepteur :

Ut nemo doceat fraudis et sceleris vias,
Regnum docebit [1].


Tout le monde a ouï parler de la maxime, qui nescit dissimulare nescit regnare, et pour nier qu’elle soit très-véritable, il faut être fort ignorant dans les affaires d’état. Boccalin nous fait entendre finement, que le règne de quelques papes avait appris à Machiavel la politique de son Prince. Voici l’apologie qu’il prête à cet écrivain. Io in tanto non intendo difendere gli scritti miei, che pubblicamente gli accuso, e condanno per empj, per pieni di crudeli, ed esecrandi documenti da governare gli stati. Di modo, che se quella, che ho pubblicata alla stampa, è dottrina inventata di mio capo, e sono precetti nuovi, dimando, che pur’ hora contro di me irremissibilmente si eseguisca la sentenza, che a i giudici è piaciuto darmi contro : ma se gli scritti miei altro non contengono, che quei precetti politici, e quelle regole di stato, che ho cavate dalle attioni di alcuni principi, che se vostra maestà mi darà licenza nominarò in questo luogo, de’ quali è pena la vita dir male, qual giustitia, qual ragione vuole, ch’ essi, che hanno inventata l’arrabbiata, e disperata politica scritta da me, sieno tenuti sacrosanti, io che solo l’ho pubblicata, un ribaldo, un atheista ? Che certo non sò vedere, per qual cagione stia bene adorar l’originale di una cosa come santa, ed abbrucciare la copia di essa come esecrabile : e come io tanto debba esser perseguitato, quando la lettione delle historie, non solo permessa, ma tanto commendata da ogn’ uno notoriamente hà vertù di convertire in tanti Machiavelli quelli, che vi attendono con l’occhiale politico [2]. Prenez garde à ces dernières paroles : Boccalin prétend que, puisqu’on permet et qu’on recommande la lecture de l’histoire, on a tort de condamner la lecture de Machiavel. C’est dire que l’on apprend dans l’histoire les mêmes maximes que dans le Prince de cet auteur. On les voit là mises en pratique : elles ne sont ici que conseillées. C’est peut être sur ce fondement que des personnes d’esprit jugent qu’il serait à souhaiter qu’on n’écrivit : point d’histoires [3]. Cela ne disculpe point Machiavel : il avance des maximes qu’il ne blâme pas ; mais un bon historien qui rapporte la pratique de ces maximes la condamne. Cela met une grande différence entre le livre du Florentin, et l’histoire, et néanmoins il est sûr que par accident la lecture de l’histoire est très-propre à produire le même effet que la lecture de Machiavel. Il y a d’habiles gens qui ont fait son apologie [4], et qui ont dit que tous ceux qui l’ont attaqué témoignent leur ignorance dans les matières de politique [5]. Quicunque sanè hαctenùs MACHIAVELLUM sibi sumsêre confutandum, si verum licet profiteri, suam civilis philosophiæ ἀπαιδευσίαν nimis apertè prodiderunt. Ιta voco cum Aristotele, summo dicendi magistro, imperitiam τοῦ τρόπου τῆς ἐπιςήμης sive naturæ et indolis politicæ scientiæ

  1. Seneca, in Thyeste, act. II, vs. 312. Il avait dit, vs. 217.

    Sanctitas, pietas, fides, privata bona sunt : quâ juvat,
    Reges eant......................

  2. Boccalin, Ragguagli di Parnasso, centur. I, cap. LXXXIX.
  3. Voyez Mascardi, de Arte historicâ.
  4. Pro Machiavello inter alios apologiam scripsit Gasp, Scioppius in libello Pœdiæ politicæ et Dissertatione adversùs Paganinum Gaudentium. Bosius, de comparandâ Prud. Civil., num. 93, apud Masirum Eponymol., pag. 552.
  5. Conringius, in præfat. suæ libri de Principe editionis, apud Magirum, pag. 554.