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MILLETIÈRE.

se, il faudrait lui compter pour une hardiesse beaucoup plus grande que la première, ce que l’on trouve dans ce passage de son antagoniste : « Vous prenez à tâche de rechercher, ou plutôt de décider, pourquoi la main de Dieu, et celle du parlement, a été si fort appesantie sur la tête du feu roi et sur celle de son fils ; et notamment celle de Dieu, parce (dites-vous) qu’il avait pris le titre de chef de l’église ; Dieu se proposant par celle punition, d’apprendre aux autres princes qui sont dans le schisme, avec quelle sévérité il peut venger sa gloire, dans l’injure qui est faite à l’unité et à l’autorité de son église : et pour ce qui est de la main du parlement, d’autant que ce prince ne voulait pas prêter son consentement à l’abolition de l’épiscopat, et à la suppression de la liturgie et des cérémonies de l’église anglicane [1]. » Je crois cependant que cette témérité est plus excusable que l’autre, dans un homme nourri depuis si long-temps aux disputes de religion ; car il n’est presque pas possible qu’un tel homme ne contracte l’habitude d’imputer les prospérités des orthodoxes à leur zèle pour la foi, et les malheurs des hérétiques à leur fausse religion. Il n’est pas nécessaire de marquer combien ces pensées sont basses, petites et populaires, et néanmoins propres à recevoir de faux ornemens de rhétorique qui leur donnent de l’emphase, et de la pompe. Marquons plutôt la modestie du prélat anglais qui répondit à la Milletière. En faisant application de ces afflictions particulières selon votre fantaisie mal fondée, quel précipice avez-vous creusé à la hardiesse et à la liberté des autres hommes ? lesquels, s’ils veulent s’arroger, comme vous avez fait, la licence de juger des malheurs de quelques autres princes, peuvent aussi bien dire que Dieu les afflige parce qu’ils ne veulent pas devenir protestans, comme vous prononcez du feu roi que Dieu l’a puni parce qu’il ne se voulait pas faire papiste [2]. Voilà quelle fut la conclusion de la réponse du prélat à cette partie des réflexions indiscrètes et téméraires de notre Théophile Brachet. Cette réponse comprend plusieurs autres considérations judicieuses, que je ne rapporte pas. Il m’a suffi de prendre celle qui est la plus propre à désabuser tous les esprits raisonnables ; car pour bien connaître la fausseté de ce mauvais lieu commun [3], il ne faut que prendre garde que toutes les sectes s’en servent, et, s’il m’est permis d’en parler ainsi, que c’est une selle à tous chevaux. Ajoutez encore cette imperfection : il fait le procès à ceux qui l’emploient avec le plus de confiance. La Milletière l’éprouva. En attendant que vous nous fassiez apparaître, lui répondit-on [4], la vérité de ce que vous dites, permettez-nous de remarquer que, ni la constance que la reine Marie [5] a tant fait éclater pour la religion catholique romaine, ni le changement de Henri quatrième à la même religion, ne les a pu exempter d’une fin cruelle et sanglante : quelle raison donc avez-vous d’imputer les maux que le roi a soufferts aux erreurs de sa religion ? Soyez vous-même votre propre juge.

Mais rien ne montre plus clairement la vanité de la Milletière, et sa passion démesurée d’être en spectacle, que le moyen qu’il propose au roi d’Angleterre de recouvrer ses états. Sa langue, si on l’en veut croire, peut suffire à la production de ce grand événement : il assure d’un côté que ce monarque sera rétabli en ses royaumes, pourvu qu’il se veuille convertir à la foi catholique romaine [6] ; et il dit de l’autre, que si ce prince veut assister à une dispute entre des docteurs catholiques et les ministres de Charenton, on le verra converti bientôt après. C’était faire entendre assez clairement que, si l’on en venait à une telle dispute, il serait l’un des premiers tenans du parti ro-

  1. Réponse à la Milletière, pag. 42.
  2. Réponse à la Milletière, pag. 45, 46.
  3. Voyez ce qui a été dit, dans ce volume. pag. 116, remarque (O) de l’article Mahomet II, et ce qui fut dit dans la Critique générale de l’Histoire du Calvinisme, lettre XIX, num. 3, p. 351 de la troisième édition, sur ce que Maimbourg avait dit du prince de Condé, tué à Jarnac.
  4. Réponse à la Milletière, pag. 166, 167.
  5. C’est la reine d’Écosse, mère du roi Jacques Ier., et aïeule de Charles Ier., roi d’Angleterre.
  6. Voyez la Réponse à la Milletière, p. 150.