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ZABARELLA.

ment. C’était déclarer qu’un philosophe chrétien n’est pas capable de fournir des preuves de l’existence d’un premier moteur dont la nature soit spirituelle ; car il est de foi que le mouvement n’est pas éternel. Zabarella disait donc qu’afin de croire cette existence, qu’aucune raison naturelle ne démontre, l’on a besoin de la grâce du Saint-Esprit. Le saint office ne trouva rien là que de raisonnable, et donna son approbation au livre de ce philosophe. C’est ce qui fit prendre à Bérigardus la liberté de soutenir la même opinion. Il est vrai qu’il ne le fit pas si crûment, car il fit parler un autre interlocuteur contre cette thèse. Rapportons un bon morceau de sa préface : Deniquè ut constet ea quæ dicuntur in nostris circulis permissa jam fuisse à S. officio, libet pauca subjicere maximè ne cui durum videatur quòd introduco Aristœum defendentem sententiam Jacobi Zabarellæ viri in hoc lyceo celeberrimi. Hæc sententia libro de Inventione æterni motoris approbato sæpiùs à S. officio, docet unicum medium philosopho naturali ad demonstrandum dari primum motorem à materiâ abjunctum esse motus æternitatem, quæ quia non datur, ut fide divinâ certi sumus, sequitur primum motorem demonstrari non posse naturaliter, sed ad hoc opus esse Dei contactu peculiari. Neque proptereà Zabarella putat eam quam vocat demonstrationem primi motoris ex motu æterno, esse veram demonstrationem, utpotè cujus medium falsum est ; sed loquitur ex falsis principiis Aristotelis, nempè si verus esset motus æternus, indè solùm ostendi posse primum motorem. Hanc Zabarellæ opinionem jam permissam si tuerer, id fortassè tutò facere possem, verùm contrariam existimo magis esse consentaneam pietati, proptereà illi oppono Charilaum qui cire. Il et XVIII, contendit Deum verum cognosci posse naturaliter, et licet rationes illæ seorsùm acceptæ non videantur sufficere ad convincendos pertinaces epicuræos, ut concludit ultimis verbis, omnibus tamen simul instructis, ait intellectum rectè dispositum posse elevari ad hanc cognitionem naturaliter, sed absque merito gratiæ et gloriæ, ut sic inexcusabiles verè dicantur à divo Paulo, qui contemptis his rationibus ad falses et irreligiosas opiniones delapsi sunt, Zabarellam tamen sequi videtur Campanella, cap. 9, n. 2. ubi ait religionem veram (ac proindè Deum) citra fidem cognosci non posse : quin etiam apud philosophos plus valere fidem quàm rationem [1].

En attendant que je déterre ce livre de Zabarella, ce qui est très-difficile en ce pays-ci [2], je ferai une réflexion. Je ne suis pas satisfait de mes conjectures sur la manière dont ce philosophe a raisonné. Il a prétendu [3] que la conséquence est bonne de l’éternité du mouvement à l’existence d’un premier moteur spirituel, mais qu’un mouvement qui a commencé n’est nullement une preuve qui y ait un premier moteur distinct des corps. Pour raisonner de cette matière, il faut supposer qu’il est impossible qu’un principe matériel agisse éternellement [4], quoiqu’il soit capable d’agir pendant plusieurs siècles. Or je ne vois point sur quoi cette prétention peut être fondée ; car si Zabarella m’accorde qu’un principe matériel a pu produire le mouvement qui, dans la supposition de Moïse, n’a commencé que six jours avant la vie d’Adam, il faut qu’il croie que ce principe, ayant été en repos pendant toute l’éternité, s’est mû enfin de lui-même, et qu’un jour il se remettra en repos, puisque sa matérialité ne souffre pas qu’il fasse rien d’éternel. mais qui ne voit l’absurdité de cette hypothèse ? Chacun conçoit clairement, 1°. que tout corps qui aurait été en repos pendant une éternité, y demeurerait toujours si quelque vertu externe ne l’en tirait ; 2°. que tout corps qui aurait pu commencer à se mouvoir, et qui aurait continué à le faire autant de temps que l’univers a duré, selon l’Écriture, pourrait persévérer éternellement dans cet état ; 3°. que tout corps qui aurait

  1. Claudius Berigardus, in Proæmio Circuli Pisani, pag. 5, 6.
  2. On y a un si grand mépris pour les scolastiques, qu’on se ferait une honte d’acheter leurs livres, ou même de s’informer s’ils sont dans une bibliothéque.
  3. C’est ainsi que Bérigardus le fait raisonner.
  4. Berigardus, in circulo I, pag. 5, avance cette proposition : Nulla virtus materiata æternum motum ciece potest.