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ZABARELLA.

pu commencer à se mouvoir il y a cent siècles, aurait pu commencer vingt mille ans, cent mille ans, etc., plus tôt ; car il n’y a point plus de raison d’attacher le commencement du mouvement à une heure qu’à une autre, à moins que l’on ne recoure au bon plaisir d’une cause spirituelle : or, de ce qu’un corps eût pu commencer de se mouvoir avant tout terme donné, il s’ensuivrait qu’il eût pu être toujours en mouvement ; et qu’ainsi le mouvement aurait pu être éternel sans être produit par une cause distincte de la matière. Ce que je viens de dire montre que l’on peut fort bien conclure l’existence d’un premier moteur spirituel, de ce que le mouvement de la matière a commencé ; et que l’on ne pourrait pas la conclure si l’on accordait une fois, qu’un mouvement qui a commencé a pu venir d’une cause matérielle. Par conséquent on ne voit pas que Zabarella ait été un bon raisonneur.

Il me semble même qu’il est beaucoup plus facile de prouver qu’il y a un premier moteur distinct des corps, si l’on suppose que le mouvement a commencé, que si l’on suppose qu’il est éternel. Supposons qu’il a commencé, il s’ensuivra nécessairement, ou que tous les corps ont commencé d’être, ou qu’ayant été de tout temps, ils ont demeuré en repos une éternité. Si tous les corps ont commencé d’être, il faut nécessairement qu’ils aient été produits par une cause spirituelle, et voilà le premier moteur que nous cherchons ; car ce principe spirituel, auteur de l’existence de tous les corps, sera aussi le principe de leur mouvement. Si tous les corps sont éternels, et si cependant leur mouvement n’est pas éternel, il s’ensuit qu’ils n’ont point en eux la vertu motrice ; car ayant cette vertu ils se seraient mus éternellement. La vertu motrice est donc hors des corps, elle est donc dans un sujet spirituel, et voilà encore le premier moteur que nous cherchons. S’il est la cause efficiente des corps [1], tant mieux ; car à plus forte raison sera-t-il la cause efficiente du mouvement. S’il n’est point leur cause efficiente, si la matière existe par elle-même, il ne laissera pas d’être la cause de leur mouvement, puisqu’il est visible qu’une nature qui a été en repos pendant une éternité, ne commence pas à se mouvoir elle-même, mais qu’il faut qu’un principe externe la tire de ce repos. D’autre côté, si nous supposons que le mouvement est éternel : il sera plus difficile de soutenir qu’il procède d’une cause immatérielle ; car on pourra dire que la même nécessité qui fait qu’il y a une matière qui a existé éternellement sans avoir été créée [2], a fait qu’elle s’est mue éternellement sans avoir besoin d’un principe externe ou d’un moteur spirituel. Je ne saurais donc comprendre la route de Zabarella ; car tout ce que j’en conjecture est plus propre à me faire croire qu’il se voulait divertir à débiter un paradoxe, qu’à me faire croire qu’il s’était laissé séduire par des raisons spécieuses. A-t-il craint qu’on ne lui dît qu’un moteur spirituel n’aurait pas laissé les corps dans l’inaction pendant toute éternité, et qu’ainsi le commencement du mouvement est une preuve que le premier moteur n’est pas un esprit ? Mais cette objection est plus forte contre ceux qui soutiendraient la matérialité du premier moteur. N’est-il pas plus malaisé de comprendre qu’une cause corporelle agisse avec liberté, et commence ses actions quand il lui plaît, que de comprendre cela d’une nature spirituelle ?

(G) Nous parlerons de l’ouvrage où il soutint que la preuve qu’il y a un Dieu, tirée de l’existence d’un premier moteur, n’est bonne que quand on suppose que le mouvement est éternel. ] Tout ce que l’on vient de lire dans cet article, et tout ce qui est contenu dans la remarque (H), fut composé au mois de mars 1697. Je l’ai relu au mois d’août 1701, pour l’envoyer à l’imprimerie, et je me suis souvenu, en le relisant, que j’avais les œuvres de notre Zabarella depuis deux ou trois années. J’ai donc cru qu’il fallait examiner ce qu’il a dit, et y conférer les conjectures que j’avais faites lorsque je n’avais pour tout guide qu’une citation

  1. Notez que plusieurs grands philosophes orthodoxes soutiennent qu’une créature peut être éternelle.
  2. Je suppose que Zabarella raisonnait contre des gens qui ne croyaient pas la création.