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SUR LE PRÉTENDU JUGEMENT DU PUBLIC.

loué son apologie de Théodore de Bèze ? Si l’on savait sur combien de fausses citations et de sophismes je lui ai fait bon quartier, on admirerait ma modération. N’ai-je pas pris son parti dans les occasions où j’ai cru qu’on lui faisait tort ? J’avoue qu’elles ont été un peu rares ; mais ce n’est point ma faute. Que n’est-il tel que l’on puisse dire du mal de lui injustement ? Ses mains ont été contre tout le monde, et les mains de tout le monde contre lui : il n’y a sorte d’injures, de plaintes et de reproches qu’il n’ait eu à essuyer, et cependant je n’ai presque point trouvé de lieu de critiquer ses censeurs. J’ai rapporté quelque part, à son sujet, le bon mot d’un empereur taurum toties non ferire difficile est : mais présentement il faut tourner la médaille, et dire taurum toties ferire difficile est. Il est bien étrange que tant d’auteurs ayant vidé leurs carquois contre sa personne, il n’y ait eu presque point de coup qui n’ait porté. J’eusse été bien aise de trouver des faussetés dans ses censeurs ; car je les aurais rapportées, non-seulement comme des pièces de mon ressort, ou du plan de mon ouvrage, mais aussi comme des titres d’honneur. Le comble de la gloire pour un historien, c’est de faire justice à ses plus grands ennemis. C’est un véritable héroïsme. Thucydide s’est immortalisé par-là bien plus glorieusement que par tout le reste de son histoire. Ainsi quand la raison et les motifs évangéliques ne m’auraient point déterminé à marcher sur cette route, on devra pour le moins croire que l’amour-propre m’y aurait conduit. Les amis de mon adversaire n’ont qu’à me mettre à l’épreuve. Qu’ils me fournissent de quoi convaincre de fausseté ses accusateurs, je leur promets de faire valoir leurs mémoires. Mais enfin, me dira-t-on, il vient trop souvent sur les rangs dans votre ouvrage : non pas plus souvent que Varillas, répondrai-je, ni aussi souvent à beaucoup près que Moréri, deux auteurs avec qui je n’ai jamais eu de démêlé. Si je parle de lui plus souvent que de beaucoup d’autres, c’est que je suis mieux instruit sur son chapitre. Il se félicite des places que je lui ai données dans mon Dictionnaire, et moi je suis ravi qu’il en soit content. Veut-on une plus belle marque de mon bon naturel ? Cela suffit contre sa supposition : je passe à la conséquence qu’il en tire.

XVI. Je la lui nie ; car quand même il serait vrai que le dessein de me venger m’aurait fait faire les remarques qui le concernent, cela ne lui servirait de rien, puisque je marche toujours à l’ombre des preuves. Il est sûr que nous ne pouvons être témoins ni lui ni moi l’un contre l’autre en aucune affaire : la voix décisive et la voix délibérative nous y doit être défendue. Nous ne méritons aucune créance quand nous parlons, lui contre moi, et moi contre lui, qu’autant que nous prouvons solidement ce que nous disons. Mais quel que soit le principe qui nous fait chercher des preuves et les employer, elle conservent