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SUR LE PRÉTENDU JUGEMENT DU PUBLIC.

une confession publique d’un défaut dont je ne suis pas encore tout-à-fait guéri. Je me tirerai par-là de l’embarras où l’on prétend me jeter. Ce ne sera pas une machine inventée après coup, elle est tirée d’un ouvrage que je publiai dans un temps où je ne prévoyais pas qu’elle pût jamais m’être nécessaire.

J’ai dit dans la page 575 des Nouvelles Lettres contre Maimbourg, que plusieurs livres méprisés par d’habiles gens me paraissaient bons. Ce manque de discernement était excusable : si je n’étais pas fort jeune dans le monde, je l’étais du moins dans la république des lettres. J’avais commencé tard à étudier, je n’avais eu des maîtres presque jamais, je n’avais jamais suivi de méthode, jamais consulté en fait de méthode ni les vivans ni les morts. Tout cela, joint à d’autres obstacles, faisait de moi un homme fort jeune quant à l’étude, et, quoi qu’il en soit, je me laissais aisément duper par les auteurs. Je puis faire encore aujourd’hui l’aveu de M. Arnauld, que j’ai rapporté dans la page 577 des mêmes Lettres. Il n’y a guère de livre qui ne me paraisse bon, quand je ne le lis que pour le lire : il faut que pour en trouver le faible je m’attache de propos délibéré à le chercher. Je ne faisais jamais cela pendant que je donnais les Nouvelles de la République des Lettres. Je ne faisais point le critique, et je m’étais mis sur un pied d’honnêteté. Ainsi, je ne voyais dans les livres que ce qui pouvait les faire valoir : leurs défauts m’échappaient. Si j’en parlais donc honnêtement, ce n’était pas contre ma conscience, et, au pis aller, il est sûr que les lois de la civilité me disculpaient d’une flatterie blâmable. Flatter les auteurs par des vues de parasite, ou par d’autres motifs d’intérêt, c’est une infamie ; mais quand on a un désintéressement aussi entier que le mien, ce n’est tout au plus qu’un peu trop de civilité et d’honnêteté. M’en fera t-on un crime ?

Avec ces dispositions d’esprit, il était inévitable que je ne fusse pas la dupe des livres de mon adversaire. Ses manières décisives, son style vif, son imagination enjouée, brillante, féconde, n’avaient garde de ne me pas éblouir. Les illusions dangereuses d’amitié fortifiaient l’éblouissement ; ainsi ses livres me paraissaient admirables. Je croyais donc que pour leur faire justice il fallait que j’employasse des expressions fortes ; car les phrases ordinaires de l’éloge, dans un auteur qui s’était mis sur un pied d’honnêteté et de compliment, n’étaient qu’une louange médiocre qui offense plus les auteurs superbes que si l’on n’en disait rien. Mes lecteurs ne s’y trompaient pas : ils ne prenaient pour un éloge, dans mes Nouvelles, que ce qui était exprimé par de beaux superlatifs. Le charme commença à se lever, lorsque, ne travaillant plus à ces Nouvelles, je comparai tout de bon ses livres avec les ouvrages où il était réfuté. Ce fut alors une lecture d’examen : ce fut la recherche des lieux faibles ; et je trouvai peu à peu bien des défauts. Quelque temps après, il fallut que je