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SUR LES MANICHÉENS.

à sacrifier nos lumières à l’autorité de l’église.

Ils n’ont pas été moins subtils ni moins féconds, soit à inventer des difficultés, soit à inventer des réponses par rapport à la Trinité, que par rapport à la Transsubstantiation. Mais les sociniens sont aussi mal satisfaits de ces deux espèces de réponses que les réformés de celles qui se rapportent au second de ces deux dogmes. Les unes et les autres, disent les sociniens, manquent des trois caractères qu’on a marqués ci-dessus : elles supposent ce qui est en question ; elles sont ou aussi obscures, ou plus obscures, que le dogme même qui est le sujet de la controverse ; elles sont si inconcevables, qu’on ne saurait les réfuter ; c’est une dispute où la nuit sépare les combattans : car si le défenseur de la thèse se couvre d’une distinction tout-à-fait incompréhensible, il faut de toute nécessité que l’opposant se retire, ou qu’il s’arrête : il ne voit aucun endroit par où frapper. On ne tire point une flèche, lorsque la plus petite lueur du monde nous manque pour entrevoir et pour deviner où est le but ; et comme le plus haut degré de l’évidence a cela de propre qu’on ne peut le prouver, le plus bas degré de l’inévidence a le destin de ne pouvoir être combattu. Ainsi de ce que les attaquans les mieux fondés sur les lumières philosophiques rencontrent enfin un retranchement de distinctions, couvert d’un nuage si épais qu’il faut qu’ils s’arrêtent, on ne peut tirer nulle conséquence en faveur d’un dogme.

Il y a dans l’une et dans l’autre communion, la romaine et la protestante, beaucoup de personnes qui sont mal édifiées des explications des scolastiques, et qui jugent que ces gens-là ont plus embrouillé que débrouillé les mystères de la religion. Quelques théologiens protestans souhaiteraient qu’on s’en fût tenu aux termes de l’Écriture, et qu’on eût enfermé en cinq ou six lignes tout ce qui concerne la Trinité ; et qu’au lieu de suivre les disputeurs d’objection en objection, on leur eût dit : Nous ne vous proposons point cela comme une chose à comprendre mais comme une chose à croire : si vous ne pouvez pas la croire, demandez à Dieu la grâce d’en être persuadé : si vous n’obtenez rien par vos prières, votre mal est incurable ; nos distinctions, nos subtilités, ne serviraient qu’à vous endurcir ; vous ne cesseriez de vous plaindre qu’on vous explique un dogme obscur par un plus obscur, obscurum per obscurius. Il y a beaucoup d’apparence que ce mystère, proposé en peu de mots selon la simplicité de l’Écriture, effaroucherait et révolterait beaucoup moins la raison qu’il ne l’effarouche et ne la révolte par le grand détail d’explications qui l’accompagne dans les commentateurs de Thomas d’Aquin. Plusieurs catholiques romains diraient de bon cœur, s’ils osaient, contre les subtilités des scolastiques, ce que M. l’abbé Faydit en a publié ; mais, pour n’avoir pas le courage qu’il a eu d’imprimer sur ce sujet une invective très-forte, ils n’en pen-