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ÉCLAIRCISSEMENT

sent pas moins. Voyez la note [1].

M. de Balzac a dit d’excellentes choses dans le cinquième discours de son Socrate chrétien [2]. En voici un morceau. « Ceux qui ont traduit d’une langue en une autre, avec le plus de réputation, ont pris des rivières pour des montagnes, et des hommes pour des villes. Les méprises de vos docteurs ne doivent rien à celles-là. La raison humaine fait, s’il se peut, de plus étranges équivoques, quand elle traite des choses divines. Étant faible et courte, comme elle est, elle devrait s’épargner et se mesurer : elle devrait être plus discrète et plus retenue. Il peut y avoir de l’intempérance au désir d’apprendre et de s’enquérir, c’est un vice que de savoir trop de nouvelles. L’ancienne morale l’a condamné : les Caractères de Théophraste ne l’oublient pas. Et s’il est vrai ce qu’on a dit autrefois, QU’IL NE FAUT PAS ÊTRE CURIEUX DANS LA RÉPUBLIQUE D’AUTRUI, quelle audace est-ce, je vous prie, quel attentat à un citoyen du bas monde, à un habitant de la terre, de se mêler si avant des choses supérieures, et des affaires du ciel ? En quel pays est-il plus étranger qu’en celui-là ? Y a-t-il de république qui lui soit plus inconnue ? Y a-t-il un autrui, dont il soit plus éloigné, avec lequel il ait moins de société et moins de commerce ? Nous devons ce respect à cette majesté qui se cache, de ne vouloir pas la découvrir, de ne la rechercher pas avec tant de diligence et d’empressement. Arrêtons-nous à ses dehors et à ses remparts, sans la poursuivre jusque dans son fort et dans ses retranchemens. Adorons les voiles et les nuages qui sont entre nous et elle. Puisqu’elle habite une lumière inaccessible, ne faisons point de dessein sur le lieu de sa demeure : n’essayons point de le surprendre par la subtilité de nos questions, de le forcer par la violence de nos argumens. Si nous avons soin de la conservation de nos yeux ; si notre vie nous est chère, fuyons cette présence redoutable, cette fatale lumière, cette lumière qui éblouit les anges et qui tue les hommes [3]...... Éloignés que nous sommes de lui, d’une distance qui ne se peut mesurer, et confinés au plus bas étage du monde qu’il a bâti, nous voulons monter sur son trône et toucher à sa couronne : nous aspirons à sa plus étroite confidence et à sa dernière familiarité. Au moins prétendons-nous de le voir avec des yeux de chair ; de le comprendre avec un esprit noyé dans le sang et enseveli dans la matière. Nous entreprenons de

  1. Pour connaître les embarras inexplicables où l’abbé Faydit a réduit les scolastiques, il ne faut que consulter l’auteur qui a tâché de lui répondre, ou seulement l’excellent Extrait que M. de Bauval a donné de sa Réponse dans l’Histoire des Ouvrages des Savans, mai 1699, pag. 214 et suiv.
  2. Il est intitulé : De la trop grande Subtilité dans les choses de la Religion.
  3. Balzac, Socrate chrétien, pag. m. 57 et suiv.