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SUR LES MANICHÉENS.

discourir de sa nature et de son essence ; de faire des relations de sa conduite et de ses desseins, avec le jargon de la philosophie d’Aristote [1]. »

C’est aux scolastiques d’Espagne que Balzac en veut dans ce discours-là : or il n’y a point de matière sur quoi ils méritent mieux cette censure que sur les explications qu’ils donnent du mystère de la Trinité ; tant s’en faut qu’il faille juger qu’ils y ont bien réussi, sous prétexte qu’ils ont inventé des réponses aux objections.

Mais, afin d’être équitable envers tout le monde, il faut dire que ceux qui s’engagent à disputer avec les sociniens, et qui se font de nouvelles routes, ne manquent guère de s’égarer. On a vu cela en Angleterre il y a cinq ou six ans [2]. Un fameux théologien, n’ayant point cru qu’il pût réfuter par l’hypothèse des scolastiques quelques écrits que les unitaires avaient publiés, en imagina une autre ; mais on prétendit qu’il établissait le trithéisme, et on ne voulut point souffrir qu’elle prît pied. D’où nous pouvons recueillir combien il est impossible de réfuter les objections philosophiques des sociniens, et que, puisqu’ils reconnaissent l’Écriture, il les faut d’abord combattre par-là. C’est l’endroit faible de leur place : l’autre en est le fort.

Quelque envie que j’aie d’être court, si faut-il que je remarque la manière dont un habile théologien, qui est depuis plusieurs années évêque de Salisburi, réfuta les objections d’un fameux athée [3] dont il fut le convertisseur. Il nous a donné l’Histoire des conférences qu’il eut avec lui, et nous y trouvons entre autres choses qu’étant question de répondre aux difficultés sur les mystères de l’Évangile, il n’eut recours qu’à ceci, que l’incompréhensibilité d’un dogme n’est point une raison valable de le rejeter, puisqu’il y a dans la nature beaucoup de choses très-certaines qu’il nous est impossible de comprendre. Il en cite quelques-unes et nommément l’union de l’âme et du corps. On lui avait objecté qu’il n’est pas en la puissance de l’homme de croire ce que l’on ne conçoit pas, et que c’est ouvrir la porte aux fourberies des prêtres que d’ajouter foi à des doctrines mystérieuses. Ne mysteriis fidem adhiberet, elabendi viam quærebat, autumabatque à nullo mortalium id fieri posse, quandoquidem credere, quod concipere, vel cogitatione comprehendere nequimus, non est penes hominem. Credere mysteriis, inquiebat, nihil aliud esse, quàm fenestram aperire præstigiis sacerdotum, cùm enim populo hâc in re obsequente uterentur, omnia illi pro lubitu persuaderent, qui, imposito rudi mysterii nomine, domabatur, nullo-

  1. Là même, pag. 62, 63.
  2. On écrit ceci en novembre 1701.
  3. Jean Wilmot, comte de Rochester, né au mois d’avril 1638, mort pénitent l’an 1680 : homme qui s’était distingué par son esprit, et par des compositions de plume pleines de sel et d’agrémens, et l’un de ces athées qui vivent selon leurs principes ; car il se plongea dans les plus affreux excès de l’ivrognerie et de l’impudicité. Voyez l’Histoire de sa conversion ; c’est un livre du docteur Gilbert Burnet. Je me sers de la traduction latine qui en a été publiée à Utrecht l’an 1698.