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VIE DE M. BAYLE.

et confesser que vous avez tort. La reine, qui pour tout le reste est assez contente de vos excuses, ne l’est point du tout en cet endroit de vos justifications : ce n’est pas devant un esprit comme le sien qu’il faut chercher des faux-fuyans. Quand on a commis quelque faute auprès d’elle, le plus court et le plus sûr est de l’avouer ; et, en tout cas, votre esprit, ingénieux comme il est, devait vous avoir suggéré quelque chose de plus digne de sa majesté que les raisons que vous avez apportées pour vous justifier. Ce n’est pas qu’elle se mette en peine de tout ce que vous sauriez dire d’elle. Une reine comme elle ne peut que mépriser également les louanges et les blasphèmes de certaines gens : mais elle est née pour rendre justice, et vous pourriez vous vanter d’être le seul au monde qui l’eût offensée impunément, si vous n’aviez pas pris le parti que vous avez pris, qui est celui de la justification.

» Mais il faut achever, monsieur, et vous dédire entièrement et nettement, si vous voulez qu’on soit tout-à-fait satisfait de vous. La reine veut du moins que vous sachiez, et toute la terre avec vous, qu’elle ne doit rien à la religion des protestans, et que si Dieu permit qu’elle y naquit, elle y renonça depuis qu’elle eut atteint l’âge de raison, et sans aucun retour ; que la religion catholique lui parut dès ce temps-là l’unique et la véritable ; et que c’est sur les saintes maximes de celle-ci, et non pas sur celles des protestans que sa majesté a condamné dans sa lettre les manières dont on en use en France pour convertir les huguenots, et le pape a rendu à cette lettre la justice qu’elle méritait.

» Vous n’avez pas raison de dire, comme vous le faites, que dans celle que je vous ai écrite on vous traite avec un peu trop d’aigreur et de colère ; car je crois que vous m’avez quelque obligation, et que vous pourriez avoir bien plus sujet de vous plaindre, si je ne vous avais pas écrit. Et afin que vous le sachiez, je vous donne avis que je suis un des moindres serviteurs de la reine, et qu’il y a dans ce pays nombre de personnes qui font gloire d’être dans les intérêts de sa majesté, et qui sont gens à vous parler bien d’un autre ton que moi, si vous ne vous corrigez pas à l’avenir.

» Je ne vous ai rien dit du mot de fameuse dont vous vous êtes encore servi en parlant de la reine [1], et qui n’a pas plu à sa majesté. Je sais que ce mot n’a pas tout-à-fait la même signification dans notre langue que dans le latin et dans l’italien, et que nous le prenons plus souvent en bonne qu’en mauvaise part ; mais il faut sur toutes choses éviter ces ambiguïtés en parlant des

  1. M. Bayle ne s’était point servi de cette expression ; il avait seulement dit que Christine avait rendu son nom si fameux, etc. ; comme il le dit ensuite de Gustave Adolphe.