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PRÉFACE

fût importante » et qu’encore que, généralement parlant, elles ressemblassent à celles qui ont été observées par les grands critiques [1], elles ne pouvaient rien contribuer au bien public. Ce n’est pas de là que dépendent les destinées du genre humain. Un récit plein de la plus crasse ignorance est aussi propre que l’exactitude historique à remuer les passions. Que dix mille personnes très-ignorantes vous entendent dire en chaire que la mère de Coriolan obtint de lui ce que ni le sacré collége des cardinaux, ni le pape même, qui étaient allés au-devant de lui, n’avaient jamais pu obtenir [2], vous leur donnerez la même idée du pouvoir de la sainte Vierge, que si vous n’avanciez pas une bévue. Dites-leur, Quoi ! chrétiens, vous ne serez pas touché, de voir notre Sauveur Jésus-Christ à l’arbre de la croix, tout meurtri de coups ! et l’empereur Pompée fut bien ému de compassion, lorsqu’il vit les éléphans de Pyrrhus percés de flèches [3] ; vous ferez autant d’effet que si vous disiez de Pompée une chose très-véritable. Il est donc certain que la découverte des erreurs [4] n’est importante ou utile ni à la prospérité de l’état ni à celle des particuliers. Or voici de quelle maniere j’ai changé mon plan, pour tâcher d’attraper mieux le goût du public. J’ai divisé ma composition en deux parties : l’une est purement historique, un narré succinct des faits : l’autre est un grand commentaire, un mélange de preuves et de discussions, où je fais entrer la censure de plusieurs fautes, et quelquefois même une tirade de réflexions philosophiques ; en un mot, assez de variété pour pouvoir croire que par un endroit ou par un autre chaque espece de lecteur trouvera ce qui l’accommode.

Cette nouvelle économie a renversé toutes les mesures que j’avais prises : la plupart des matériaux que j’avais prêts ne m’ont plus servi de rien ; il a fallu travailler sur nouveaux frais. Ma principale vue avait été de marquer les fautes de M. Moréri, et celles de tous les autres dictionnaires qui sont semblables au sien. En cherchant les preuves nécessaires à montrer ces fautes et à les rectifier, j’avais trouvé que plusieurs auteurs anciens et modernes ont bronché aux mêmes lieux. Et comme M. Moréri s’est beaucoup plus abusé dans ce qui concerne la mythologie et les familles romaines que dans d’histoire moderne, j’avais principalement fait des recueils sur les dieux et sur les héros du paganisme, et sur les grands hommes de l’ancienne Rome. L’ouvrage que je me proposais de publier eût contenu une infinité d’articles semblables à l’Achille, au Balbus

  1. Examinez les remarques de Scaliger sur la Chronique d’Eusèbe, vous trouverez que ses corrections se réduisent à un temps, un lieu, un nom d’homme, etc., pris pour d’autres.
  2. On assure dans le Recueil des bons mots, imprimé l’an 1693, pag. 133, de Hollande, que cela a été actuellement prêché.
  3. On assure dans le Furétieriana, pag. 127, de l’édit. de Bruxelles que Furetière entendit prêcher cela en Flandre.
  4. On parle des erreurs de fait, et l’on excepte celles de religion. À l’égard des autres on ne prétend pas exclure toute exception.