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VIE DE M. BAYLE.

plus capable d’aigrir les esprits contre lui.

Il y avait alors à Genève un marchand nommé Goudet, peu affairé, mais grand faiseur de projets. Il se mit en tête d’ajuster les différens des princes, et de devenir le pacificateur de l’Europe. Il composa un ouvrage intitulé, Huit entretiens où Irène et Ariste fournissent des idées pour terminer la présente guerre par une paix générale. Ces entretiens contenaient un projet de paix où le sieur Goudet assignait aux princes et aux états de l’Europe les territoires qu’ils devaient posséder. La France, par exemple, devait garder la Franche-Comté, la Flandre conquise, et le Luxembourg ; mais il fallait qu’elle rendît tout ce qu’elle avait pris en Catalogne depuis la paix des Pyrénées, et en Allemagne depuis la paix de Nimègue, excepté Strasbourg. Elle devait aussi démolir Mont-Royal, le fort Louis, Huningue et Fribourg : en récompense on lui donnait la ville de Mons et tout le Hainault, et quelques terres qui se trouvaient à sa bienséance. On lui donnait encore la Lorraine, et le duc de Lorraine devait avoir la Servie et la Bulgarie, et Belgrade pour capitale de ses nouveaux états ; mais il changea ensuite cet article et lui donna le Brabant et le reste des Pays-Bas appartenant à l’Espagne. La France devait remettre aux Suisses la ville de Fribourg et la forteresse d’Huningue démolies, et l’empereur devait leur céder les quatre villes forestières, le Brisgau et le Suntgau. On cédait encore à la France la principauté d’Orange, le comtat d’Avignon et le Venaissin ; et, en échange, on donnait au prince d’Orange le bailliage de Gex, et au pape un tribut annuel de cinquante mille écus que le duc de Savoie lui paierait, en considération de quoi ce duc aurait Casal et Pignerol. On accorderait aux réformés de France un édit perpétuel qui leur assurerait la même liberté de conscience que les catholiques ont en Hollande ; mais on ne leur permettrait pas de dogmatiser contre la religion romaine. Les Hollandais auraient tout le commerce des Indes, et la France démolirait quelques places des Pays-Bas qui pouvaient leur donner de l’ombrage. Il voulait que le roi Guillaume fût reconnu roi d’Angleterre, et que le roi Jacques fût fait roi de Jérusalem et de toute la Palestine. Les princes chrétiens devaient s’unir pour abolir l’empire ottoman. L’électeur de Bavière devait être empereur de Constantinople, et le comte de Tékély devait avoir Belgrade et les provinces de Servie, Bulgarie, Bosnie, Rascie, Moldavie et Valachie. Ces deux dernières devaient être tributaires de la Pologne. On donnait aux Français l’Égypte, une partie de la Syrie, et l’île de Rhodes : et « les avantages que l’on en recueillerait, disait le sieur Goudet [1], c’est qu’aux dépens de l’infidèle on donnerait de l’occupation en des pays éloignés à cette humeur inquiète et remuante des français, qui ont peine à demeurer dans le repos et d’en laisser

  1. Second entretien, etc., p. 27, 28.