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VIE DE M. BAYLE.

jouir les autres, ce qui n’est pas d’une petite conséquence pour l’intérêt général. » Pour rendre la paix perpétuelle, les princes de l’Europe devaient donner tous les ans, aux Suisses, six cent mille écus pour l’entretien de quarante mille hommes qui seraient toujours prêts à fondre sur celui qui voudrait la rompre ; et ces troupes, en cas de besoin, seraient jointes par trente mille hommes que l’empereur et les princes de l’empire entretiendraient sur pied.

Le sieur Goudet, admirant la sublimité de son génie dans le projet de paix qu’il avait formé, le communiquait à tous ceux qu’il pouvait engager à le lire. Il en entretint le résident de France, qui s’en moqua [1] ; mais cela ne le rebuta point. Sachant les liaisons que M. Minutoli, dont il était allié, avait avec M. Bayle, il le pria de lui envoyer ce projet de paix, pour savoir « son jugement, aussi-bien que celui de plusieurs autres personnes illustres, dans les pays étrangers [2]. » M. Minutoli envoya, au mois de septembre 1690, les six premiers entretiens à M. Bayle, sans lui en nommer l’auteur, et lui marqua en même temps « que si l’on ne faisait pas état de bien sauver dans ce projet les intérêts du protestantisme, et de ses chers frères les réfugiés, il n’aurait pas seulement daigné jeter les yeux dessus ; mais que celui qui avait la chose en main l’avait assuré que la suite lui ôterait tous les scrupules qu’il pourrait avoir là-dessus [3]. »

L’article des réfugiés avait été réservé pour le septième entretien, qui ne fut point envoyé à M. Bayle. M. Minutoli le pria de communiquer les six premiers à M. le baron de Groeben, gouverneur du prince Louis, frère de l’électeur de Brandebourg, à M. Burnet, évêque de Salisbury, à M. Hulft, résident des états, à Bruxelles, à M. Frémond d’Ablancourt, et à M. de Bauval ; enfin, il le pria de le faire lire par le plus grand nombre d’habiles gens et de personnes d’état qu’il serait possible, et de faire savoir ce qu’ils en penseraient [4]. M. Bayle en fit faire des copies, et les envoya aux personnes que M. Minutoli avait nommées. On n’en jugea pas fort avantageusement. « Non-seulement on ne trouvait pas l’ouvrage bien écrit, mais on y trouvait des visions, des idées de république platonique, et de cette république chrétienne dont M. de Sulli nous a conservé le plan [5]. » M. Bayle ne le lut point ; car, outre l’aversion extrême qu’il avait pour la lecture d’un manuscrit, ses autres occupations, et le peu de cas qu’en firent ceux à qui il l’avait donné à lire, l’en détournèrent entièrement [6]. Il fit savoir à M. Minutoli le jugement qu’on en portait, et ajouta « que l’auteur pouvait compter com-

  1. Extrait d’une lettre écrite de Genève, etc., dans la Chimère démontrée, pag. 204.
  2. Lettre de M. Minutoli à M. Jurieu, ibid., p. 194.
  3. Cabale chimérique, p. 5, 6, de la 2e. édition.
  4. Ibid., p. 20 et suiv.
  5. P. 13, 14.
  6. P. 7 et suiv.