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VIE DE M. BAYLE.

efforcés en vain de le faire changer de sentiment ; mais qu’enfin il avait été obligé de consentir que son nom y parût. Ce n’est point par inconstance, dit-il, mais pour obéir à l’autorité souveraine, que je fais ce que j’ai dit si souvent que je ne voulais point faire. On a trouvé à propos, pour apaiser le différent de quelques libraires, que je me nommasse. Sans cela le sieur Leers n’eût pu obtenir le privilége dont il avait, à ce qu’il a cru, un besoin indispensable. J’obéis donc aveuglément. » Voici le sujet de ce différent. Le sieur Leers ayant prié les États de Hollande de lui accorder un privilége, les libraires qui avaient imprimé le Moréri s’y opposèrent, prétendant que le Dictionnaire de M. Bayle était un ouvrage semblable à celui de Moréri ; que cette concurrence était défendue par le privilége que les États leur avaient donné, et qu’elle leur causerait une grande perte. Et, comme ils savaient que M. Bayle ne voulait point se nommer, ils se prévalaient de cet incident pour représenter son Dictionnaire comme un livre sans aveu. Les États ne laissèrent pas d’accorder un privilége au sieur Leers, mais à condition que M. Bayle se nommerait dans le titre [1].

En effet, l’ouvrage de M. Bayle n’a presque rien de commun avec celui de Moréri. C’est un Dictionnaire d’une espèce nouvelle et singulière. Il y règne une variété infinie. Dans le texte ou le corps des articles, il fait avec beaucoup d’exactitude et de précision l’histoire des personnes dont il parle ; mais il se dédommage dans les remarques qui sont au-dessous du texte, et qui lui servent de commentaire. Il donne le caractère de ces personnes, il démêle les circonstances de leur vie et les motifs de leur conduite, il examine le jugement qu’on en a fait ou qu’on en peut faire. Il traite des matières très-importantes de religion, de morale et de philosophie. Il semble même que le texte ait quelquefois été fait pour les remarques. Les actions ou les sentimens d’une personne obscure et presque inconnue lui donnent occasion d’instruire ou d’amuser agréablement le lecteur. Ainsi plusieurs articles, qui semblent ne rien promettre, sont souvent accompagnés des choses les plus curieuses. Il fait partout la fonction d’un historien exact, fidèle, désintéressé, et d’un critique modéré, pénétrant et judicieux. En parlant des philosophes, il s’attache à découvrir leurs opinions et à en faire sentir le fort et le faible.

Persuadé que les disputes de religion, qui ont causé des maux infinis dans le monde, ne viennent que de la trop grande confiance que les théologiens de chaque parti ont en leurs lumières, il prend à tâche de les humilier et de les rendre plus retenus et plus modérés, en montrant qu’une secte aussi ridicule que celle des manichéens leur peut faire des objections sur l’origine du mal et la permission du péché, qu’il n’est pas possible

  1. Cette condition est exprimée dans le privilége.