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DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

leurs généraux ont fait quelques fautes dans le cours de la campagne, ils ont quelquefois raison, mais ils ne prétendent pas être plus capables qu’eux de commander une armée : ils se reconnaissent infiniment inférieurs en capacité aussi-bien qu’en rang [1]. Voilà mon portrait. J’ajoute encore que quand il s’agit de ce qui n’est pas avantageux à la mémoire d’un homme, je ne m’en rends point garant, je ne fais que rapporter ce que d’autres disent, et je cite mes auteurs. C’est donc à ceux-ci, et non pas à moi, que les parens doivent adresser leurs plaintes. Un historien moderne a déclaré dans une préface que c’est à ceux qui nous ont prescrit les lois invariables de l’histoire [* 1] qu’il faut s’adresser, pour leur faire rendre compte de leurs ordonnances, si l’on en est peu satisfait ; et non pas aux historiens, qui doivent indispensablement obéir, et dont toute la gloire qu’ils peuvent espérer consiste à bien exécuter leurs ordres. Ma cause est encore plus favorable, puisque je ne suis que le copiste des auteurs déjà imprimés. Des deux lois inviolables de l’histoire qu’il rapporte, j’ai observé religieusement celle qui ordonne de ne rien dire de faux ; mais pour l’autre, qui ordonne d’oser dire tout ce qui est vrai, je ne me saurais vanter de l’avoir toujours suivie ; je la crois quelquefois contraire non-seulement à la prudence, mais aussi à la raison.

Ne croyez pas que je me vante de n’avoir rien dit que de vrai ; je ne garantis que mon intention, et non pas mon ignorance. Je n’avance rien comme vrai lorsque, selon ma persuasion, c’est un mensonge [2] ; mais combien y a-t-il de choses que je n’ai pas comprises, ou dont les idées se sont confondues ensemble pendent la composition ! Combien de fois arrive-t-il à notre plume de trahir notre pensée ! Nous avons dessein d’écrire un chiffre, ou le nom d’un homme ; et quelquefois, faute d’attention, ou même par trop d’attention à d’autres choses, nous en écrivons un autre. Ainsi, je ne doute point qu’outre mes péchés d’omission, qui sont infinis, il ne m’en soit échappé un très-grand nombre de commission. Je m’estimerai très-redevable à ceux qui auront la bonté de me redresser ; et si je ne m’étais pas attendu aux bons avis des lecteurs intelligens et équitables, j’aurais gardé plusieurs années cet ouvrage dans mon cabinet, selon le conseil des anciens [3] afin de le corriger, et de le rendre un peu moins indigne des yeux du public ; mais considérant qu’il me restait des matériaux pour deux autres gros volumes, je me suis hâté de me

  1. (*) Ne quid veri non audeat, ne quid falsi audeat, Cicer. Les paroles de Cicéron, au IIe. liv. de Oratore, fol. m. 74 A, sont, Quis nescit primam esse historiæ legem, ne quid falsi dicere audeat, deinde ne quid veri non audeat ?
  1. Consultez ce vers d’Horace,

    Quùm de se loquitur non ut majore reprensis.

    Sat. X, lib. I, vs. 55.

  2. Entendez ceci de ce que j’avance de mon chef, et de la fidélité avec laquelle je rapporte ce qui me semble être le sens de ceux que je cite.
  3. Nonumque prematur in annum.
    Horat., de Arte Poët.