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PRÉFACE

impression, c’est lorsqu’un livre peut contenter, et les gens de lettres, et ceux qui ne le sont pas ; qu’il fallait donc qu’en faveur de mon libraire je rapportasse quelquefois ce que les auteurs un peu libres ont publié ; que l’emploi de telles matières est semblable à la liberté qu’on prend de faire sa vie : dans quelques personnes c’est la marque d’un défaut [1], dans d’autres ce n’est qu’une juste confiance en leurs bonnes mœurs [2], et que je pouvais justement me mettre au nombre de ces derniers ; qu’enfin, si j’avais trop de répugnance à déférer à ces avis, je devais du moins souffrir qu’on fournît de tels mémoires au libraire, et même quelquefois des réflexions dogmatiques, qui excitassent l’attention. Je leur promis d’avoir quelque égard à ces remontrances, et j’ajoutai que je n’avais point de droit de m’opposer à leurs supplémens ; que j’avais laissé au libraire une pleine autorité d’insérer, même sans me consulter, les mémoires que ses correspondans et ses amis lui enverraient ; et que je voudrais qu’à l’égard de tout le livre ils voulussent faire ce qu’ils témoignaient avoir envie de pratiquer en certains endroits, c’est-à-dire qu’ils ajoutassent à mes compilations, qu’ils en retranchassent, qu’ils les arrangeassent comme ils le trouveraient bon. Il est certain que j’ai toujours souhaité de n’avoir pour mon partage dans ce travail que le soin de compiler : j’eusse voulu que d’autres prissent la peine de donner la forme aux matériaux, d’y ajouter et d’y retrancher ; et j’eus beaucoup de plaisir lorsque les personnes dont je parle m’assurèrent qu’elles se souviendraient de notre conversation. C’est à quoi je supplie mes lecteurs de prendre garde. Quant aux réflexions philosophiques qu’on a quelquefois poussées, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’en faire excuse ; car puisqu’elles ne tendent qu’à convaincre l’homme que le meilleur usage qu’il puisse faire de sa raison est de captiver son entendement à l’obéissance de la foi, elles semblent mériter un remercîment des facultés de théologie.

IV. Remarques sur la hardiesse que l’on a eue de critiquer plusieurs auteurs.

Je n’ai que deux mots à dire sur une chose qui paraît très-importante. J’ai rapporté les erreurs de beaucoup de gens avec quelque liberté. N’est-ce pas une entreprise téméraire et présomptueuse ? La réponse à cette question serait bien longue si je ne m’en rapportais à ce que j’ai déjà dit là-dessus dans mon projet. [3]. Je supplie mon lecteur d’y avoir recours. J’ajouterai seulement que, sans sortir du devoir de l’humilité, on peut remarquer des fautes dans les livres des hommes illustres. On ne laisse pas pour cela de les regarder de bas en haut à perte de vue. Quand des officiers subalternes, et les soldats mêmes, disent librement que

  1. Plerique suam ipsi vitam narrare fiduciam potiùs morum quùm arrogantiam arbitrati sunt. Tacitus, in Vitâ Agricolæ, cap. I.
  2. Voyez les rem. des articles Vayer et Virgile, t. XIV, pag. 289 et 423.
  3. Numéro VI. Voyez tom. XV, pag. 233-235.