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VIE DE M. BAYLE.

le dit M. Bayle, de même que si elles étaient de pures machines, puisque ce sont elles qui remuent leurs membres. Par exemple, peut-on dire qu’un chien, qui placé dans une espèce de tambour le fait tourner en marchant, et par là fait tourner une broche et ce qui y est attaché, soit employé simplement comme un tourne-broche ? On fait aller un tourne-broche par le seul poids, mais on ne fait pas remuer les jambes d’un chien ; c’est lui-même qui les remue ; et si l’on mettait en sa place quelque machine que ce fût, elle ne ferait jamais le même effet. J’avoue, ajouta-t-il, que je ne puis pas dire comment Dieu applique à la matière et dirige des natures formatrices immatérielles, sans être l’auteur de toutes leurs actions ; mais on ne peut pas rejeter cette pensée comme absurde, après les preuves directes que l’on a rapportées ; autrement il faudrait rejeter tout ce dont on n’a pas des idées complètes et exactes, ce qui ferait tomber dans un ridicule pyrrhonisme. » Sur ce que M. Bayle avait dit qu’il préférait le système des causes occasionelles aux autres, parce qu’il lui semblait le plus propre à établir l’existence de Dieu, M. le Clerc déclara qu’il ne voulait s’engager dans aucune dispute là-dessus. « J’ai cru seulement, dit-il [1], qu’après avoir proposé le sentiment de M. Cudworth comme probable je devais faire voir que M. Bayle avait tort de dire qu’il donnait lieu aux athées de détruire, par une rétorsion, le meilleur argument qu’on peut produire contre eux, et qui est tiré de l’ordre de l’univers : après l’avoir fait, il ne me reste plus rien à dire là-dessus. Je ne veux pas entrer dans des choses personnelles, ni pénétrer dans des desseins que l’on ne peut découvrir qu’en chagrinant ceux que l’on en pourrait soupçonner. »

M. Bayle récapitula cette dispute et l’examina plus à fond [2]. Il remarqua que l’hypothèse de M. Cudworth, savoir que Dieu a l’idée de l’organisation des animaux, n’ôte pas ce qu’il y a d’incompréhensible et d’impossible dans la supposition qu’il fait que la véritable cause efficiente et immédiate de l’organisation ne connaît quoi que ce soit, et que les stratoniciens peuvent se servir de la seconde hypothèse pour contester l’autre ; qu’ils lui montreront que ces deux choses paraissent également impossibles ; l’une que les inventeurs d’une machine ne connaissent rien, l’autre qu’ils la fassent exécuter par des gens qui n’en ont aucune idée. M. Bayle ajouta que l’exemple d’un chien qui fait tourner la broche était hors du cas qu’il avait posé ; car il n’avait pas dit que nous sommes obligés de pousser et de diriger les bêtes dans les services que nous en tirons, mais seulement qu’en tout ce où leurs connaissances ne leur servent point de guide, il faut

  1. Bibliothéque choisie, tom. VII, art. VII, p. 288.
  2. Réponse aux Questions d’un provincial, tom. III, ch. CLXXIX et suiv.