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VIE DE M. BAYLE.

ceux qui ayant toute l’adresse nécessaire ne s’en servent point.

VIII. Les douceurs de cette vie sont mêlées de tant de maux, qu’elles ne peuvent remplir le caractère de la bonté idéale. Quant à cette multitude innombrable d’impénitens qui après un rigoureux purgatoire passent au séjour des bienheureux, nous ne saurions voir dans leur sort les caractères de la bonté idéale. Voici une peinture de la conduite qu’Origène attribue à Dieu. Un prince destine à un gentilhomme la place de favori. Il le trouve sujet à de grands défauts, il a des moyens infaillibles de l’en corriger, et ne s’en sert point. Il se contente d’employer les promesses et les menaces qu’il sait ne devoir produire aucun bon effet. Le jeune homme se laisse entraîner à ses mauvaises inclinations malgré les menaces et les promesses du prince, il est chassé, il est châtié très-rudement, mais enfin on le rappelle à la cour, et tout le reste de sa vie il jouit du poste de favori. Un tel prince pourrait-il passer pour un héros en bonté ? Si on aime quelqu’un, si on a de la bonté pour lui, on lui épargne autant qu’on peut le malheur de faire des fautes, et surtout lorsqu’elles doivent être suivies de châtiment ; et il n’y a qu’un seul moyen de justifier les gens qui exposent leurs amis à quelque chagrin ou à quelque punition, c’est lorsqu’ils ne peuvent autrement les corriger de quelque vice. Nous ne sommes point ici dans ce cas-là, puisque nous supposons un roi qui a des moyens efficaces de corriger les défauts du gentilhomme, et qui, au lieu de s’en servir, recourt à des voies qu’il connaît fort inutiles.

IX. Les bornes que l’on donne à la durée des peines de l’autre vie, les degrés et les variétés qu’on suppose qu’il y aura, tout cela est très-propre à prouver que les marques de la bonté de Dieu éclatent infiniment plus dans le sort des hommes que les marques de sa haine ; et qu’ils ont sans comparaison plus de sujet de se louer de la bénéficence de leur Créateur que de se plaindre de sa sévérité. Mais enfin la bonté infinie, qui doit être pure et sans nul mélange de la qualité contraire, la bonté idéale, en un mot, ne paraît point dans l’origénisme ; elle nous échappe lors même que nous y trouvons tous ces adoucissemens. Un père qui aimerait médiocrement ses enfans voudrait-il que de grands établissemens qu’il leur destinerait fussent précédés de la permission de faire des fautes, et du châtiment de ces fautes pendant quelques jours ? Le voudrait-il, s’il pouvait les rendre également heureux sans ce préliminaire ? Peu de gens voudraient acheter la faveur d’un prince à condition de souffrir la question trois fois la semaine pendant six mois. Il ne faut pas s’imaginer que les tourmens de l’enfer soient peu de chose, sous prétexte qu’ils ne durent peut-être que cinquante ou soixante ans. Ce terme, il est vrai, n’est rien en comparaison de l’éternité. Mais il est d’une longueur affreuse par rapport à la sensibilité humaine. Qui dirait à un goutteux, « Les douleurs